Elevage. Ces vaches qui ne font pas du fromage, mais du chocolat
Quarante-cinq exploitations fournissent aujourd’hui leur lait à la chocolaterie Cailler, à Broc. Rencontre avec Vincent Maudonnet, de la ferme de la Goletta, à Bossonnens.
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8 octobre 2024 à 13:17, mis à jour à 13:30
Pour la photo, Vincent Maudonnet n’a pas hésité une seconde à se mêler à ses «curniflettes», dans le pré qui borde la ferme de la Goletta, à Bossonnens. Mis à part leur surnom croquignol, rien ne distingue ses soixante protégées de n’importe quelles autres vaches dans n’importe quels autres prés fribourgeois. Sauf qu’elles produisent du lait pour la chocolaterie Cailler, à Broc.
«Historiquement, ça fait longtemps qu’il n’y a plus de fromagerie au village, explique Vincent Maudonnet. J’ai le souvenir du local de coulage, mais il ne servait sans doute plus depuis la guerre.»
L’agriculteur de 42 ans préside depuis 2013 l’Association des producteurs de lait de Nestlé Broc (APLN). De longue date, les sociétés de laiterie de Bossonnens et de Remaufens, ainsi que quelques agriculteurs de Thioleyres (Vaud), ont rejoint les agriculteurs de Broc, Bulle et La Tour-de-Trême, voisins de l’usine âgée de 125 ans.
Longue tradition
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les aïeuls de Vincent Maudonnet livrent leur lait à Lactessa. «Après la faillite de cette entreprise genevoise, la Société de laiterie de Bossonnens s’est tournée vers Guigoz, qui a ensuite été reprise par Nestlé dans les années 1990.»
L’APLN est fondée en 1997, dans la foulée de la fermeture du site de Nestlé à Orbe, dont les producteurs dépendaient jusqu’alors. «Aujourd’hui, nous sommes tous équipés d’un système de réfrigération, et le camion passe tous les deux jours récolter notre lait, détaille Vincent Maudonnet. Il est ensuite transformé en lait condensé à l’usine Cremo, à Fribourg.»
L’une des principales caractéristiques du chocolat Cailler est sans conteste sa recette à base de lait condensé frais. «Je ne sais pas si c’est psychologique, mais je trouve qu’il n’a pas la même texture que les autres», sourit le président de l’APLN.
Cet effet «psychologique» du lait condensé frais, le géant alimentaire l’a utilisé à profusion dans ses publicités qui mettent en scène l’image de l’armailli à l’alpage. «Il est vrai que Nestlé valorise beaucoup notre travail, avoue Vincent Maudonnet. D’ailleurs, il y aura un volet sur le lait au sein du futur parc Cailler, dans la dernière phase du projet.»
Pas du genre Ballenberg
«Dans le concept que les promoteurs de Jogne Invest nous ont présenté, il y aura une ferme sur le site. Mais pas du genre de Ballenberg. Je trouve insupportable que l’on montre encore des paysans de manière rétrograde et que l’on fasse de la publicité avec une image des paysans qui ne reflète pas la réalité du métier. Les agriculteurs évoluent dans le même monde que tout le monde. Nous maîtrisons nos technologies. C’est cela qu’il faut montrer!»
Depuis l’annonce d’un investissement de 9 millions de francs, la fabrique de Broc a donné des signaux «positifs à ses producteurs de lait. On ressent un fort soutien.» Malgré la récente forte hausse des prix du cacao sur le marché mondial, la marque Cailler espère profiter de la modernisation de ses lignes de production pour élargir ses exportations.
Depuis sa création, l’APLN négocie sans intermédiaire le prix du lait avec Nestlé. «Nous avons pour principe de ne pas divulguer de chiffres, explique Vincent Maudonnet. Non seulement ce prix dépend de beaucoup de critères, mais surtout cela crée des tensions.»
Par rapport aux autres producteurs de lait de centrale, les membres de l’APLN ont l’avantage de négocier des conditions à terme. «Typiquement, on a fixé en juin le prix pour le deuxième semestre. Cela nous donne une stabilité sur six mois.»
Lait des prés
Depuis une dizaine d’années, l’APLN fait partie du label Lait des prés IP-Suisse. «A la base, nous faisions de la pure défense professionnelle. Mais, avec le temps, on travaille davantage main dans la main. Cette idée est partie de Nestlé. Il nous a fallu nous renseigner, faire des calculs, convaincre les gens. Tout cela s’est mis en place sur deux ans. On ne peut pas dire que nous sommes des précurseurs, mais nous avons sans doute eu quelques années d’avance. Ça fait quand même longtemps qu’on sait qu’il faut faire quelque chose à ce niveau-là.»
Ce label a eu des conséquences rapides, par exemple sur les aliments concentrés à base de soja. «Avant, il y avait peu de choix et leur prix était plus cher. Quand on est entrés sur le marché, deux gammes de plus sont arrivées. Comme nous sommes un bloc d’une cinquantaine d’exploitations, l’offre s’est adaptée à la demande.»
«Seul, on ne peut rien faire»
«Quand j’ai commencé ma carrière en 2001, on avait la moitié moins de surface, la moitié moins de têtes de bétail et on était deux fois plus de personnel. Aujourd’hui, je travaille avec un employé. Lorsqu’il est en congé, mon épouse vient me donner un coup de main le matin avant d’aller à son travail.» De l’avis de Vincent Maudonnet, ce système d’agriculture familiale touche gentiment à ses limites. «Mes parents ont toujours bien suivi le mouvement. Et ils m’ont laissé beaucoup de liberté quand je suis arrivé, car ils voyaient que ça roulait. J’ai de la chance que mes parents aient bien bossé avant moi, et aussi que ma compagne accepte cette vie. Au début de notre relation, je lui ai dit: à l’écurie, il y a soixante greluches qui comptent autant que toi dans ma vie! Tout seul dans ce métier, on ne peut rien faire. Il faut que les gens qui t’accompagnent comprennent cette situation.»
CD