Elections sans frontières
Les résultats de l’élection au Conseil des Etats montrent que le critère régional n’en est plus un
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Magalie Goumaz
14 novembre 2019 à 02:01
Bilinguisme » Ce qu’il faut retenir du second tour de l’élection au Conseil des Etats? Les Fribourgeois ont élu une femme pour la première fois de leur histoire à ce poste, une libérale-radicale gruérienne qui formera un tandem avec un socialiste gruérien. Le PDC perd sa place et, partant de là, la Singine n’est plus représentée à la Chambre haute. C’est dire si le 10 novembre 2019 va marquer les livres d’histoire.
Préfet de la Singine, Manfred Raemy regrette évidemment l’issue de cette élection. «Je suis déçu que la Singine soit dorénavant absente du Conseil des Etats, réagit-il. Nos deux élus y représentent certes l’entier du canton. Mais, en y occupant un des deux sièges, notre district pouvait faire valoir sa voix et Fribourg montrer qu’il tenait compte de sa minorité linguistique. Les Alémaniques ressentent la même chose à Fribourg que les francophones à Berne, eux aussi tiennent à leur représentativité dans les instances fédérales.»
Peu de réactions
Au-delà de cette réponse de circonstance, Christoph Nussbaumer, rédacteur en chef des Freiburger Nachrichten, constate néanmoins le peu de réactions suscitées par la non-réélection du PDC Beat Vonlanthen dimanche dernier. L’habitant de Niedermuhren a été battu par Johanna Gapany pour 138 voix. «Les Alémaniques questionnés sur le sujet disent que c’est dommage, mais ça ne va pas plus loin.» Pour preuve, le quotidien alémanique fribourgeois ne croule pas sous les courriers de lecteurs sur le sujet. «Nous avons nous-même fait un appel aux réactions sur les réseaux sociaux. Mais il y a eu peu de réponses», poursuit le rédacteur en chef qui analyse ainsi les résultats de dimanche: «L’élection de Johanna Gapany ne découle pas d’un réflexe anti-alémanique mais d’une question de personnalité», estime-t-il.
La présence singinoise au Conseil des Etats faisait pourtant partie de cette formule magique à la fribourgeoise. Elle était un des arguments principaux des deux sortants pour les reconduire dans leurs fonctions. «Fribourg est un canton bilingue. Cette particularité nous permet de créer des ponts entre les régions linguistiques et d’être présents sur la scène médiatique des deux côtés de la Sarine. Ce qui fait notre identité nous permet d’étendre notre influence», expliquait Christian Levrat lors de la campagne.
Cette formule magique n’est cependant pas si ancienne que ça. Ni gravée dans le marbre. La Singine n’a eu que quatre conseillers aux Etats. Alphonse Roggo ouvre la voie en 1960 et siège aux Etats pendant deux législatures. Il faut ensuite attendre 1979 pour que le district retrouve son fauteuil, avec l’élection d’Otto Piller, puis par celle d’Urs Schwaller en 2003 et enfin de Beat Vonlanthen en 2015.
Et pour ceux qui pointent la présence de deux Gruériens au Conseil des Etats, il est bon de relever que cette hégémonie n’est pas une première. Entre 1968 et 1972, il y a eu deux Broyards, Gustave Roulin et Paul Torche. Ils ont été remplacés par deux citadins, Jean-François de Bourgknecht et Pierre Dreyer, entre 1972 et 1979. Entre 1968 et 1979, il y a ainsi déjà eu une parenthèse exclusivement francophone.
Un critère parmi d’autres
Historien, Bernhard Altermatt relativise ainsi la portée de la nouvelle configuration sénatoriale. «La minorité alémanique du canton reste très bien représentée dans la députation fribourgeoise à Berne, avec trois élus sur sept au Conseil national», explique-t-il. Christine Bulliard-Marbach (pdc) vient d’Ueberstorf, Ursula Schneider Schüttel (ps) de Morat et Gerhard Andrey (verts) est un Alémanique habitant Granges-Paccot. «Et je ne me fais aucun souci pour la capacité qu’à Johanna Gapany de parfaire son allemand pour s’exprimer également dans cette langue, comme le fait déjà Christian Levrat», poursuit celui qui était également candidat au Conseil national sous la bannière PDC.
Défenseur du bilinguisme, Bernhard Altermatt constate que la question identitaire n’a pas été un thème durant la campagne pour l’élection au Conseil des Etats. Elle n’a été qu’un critère parmi d’autres, et le profil présenté par Johanna Gapany l’a emporté. «Dans la vie politique aussi, il y a des cycles qui tiennent compte des mouvements de société», déclare-t-il. Et d’assurer qu’il n’y voit aucun danger pour la minorité linguistique de Fribourg. «Le canton s’est diversifié. Il n’est plus le fief conservateur tel qu’il était faussement décrit il n’y a encore pas si longtemps. Et puis, ses habitants sont mobiles. Des francophones s’installent en Singine, des Singinois font le chemin inverse. La frontière des langues s’est ouverte.» Pour lui, les partis doivent intégrer le fait que l’électorat devient moins stable et que lors d’une élection «chaque siège est à prendre».
La faute aux Singinois
Pour l’historien, le faible taux de participation de la Singine dimanche dernier, 36,9% (soit légèrement en dessous de la moyenne cantonale), est aussi à mettre sur le compte de la mobilité de l’électorat. En résumé, si Johanna Gapany a été élue, c’est aussi parce que les Singinois ne se sont pas mobilisés pour défendre un des leurs. Ce qui inquiète le préfet de la Singine. «Depuis trois ans que j’occupe ce poste, j’ai déjà eu l’occasion de constater que nous étions en dessous du pourcentage cantonal de participation à différents scrutins, déclare Manfred Raemy. Cet écart est difficile à expliquer, mais j’espère que les Alémaniques vont réagir. Cette élection montre qu’ils ne peuvent plus se reposer sur leurs lauriers et penser qu’un siège leur est acquis d’avance.»
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