Logo

Signature terroir

Bâti. Techniques d’hier pour constructions d’aujourd’hui

A Ursy, Dominique, Pascal et Sébastien Pittet développent des méthodes d’écoconstruction pionnières qui relient savoir-faire anciens et besoins contemporains.

A la tête de l’entreprise Pittet Artisans, Dominique, Sébastien et Pascal Pittet (de gauche à droite) développent des outils qui permettent l’utilisation de matériaux ancestraux comme la terre, le chanvre, les roseaux ou l’argile.Jean-Baptiste Morel

Isabelle Kottelat

Isabelle Kottelat

3 octobre 2024 à 08:43, mis à jour le 8 octobre 2024 à 08:39

Temps de lecture : 4 min

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Et sur place. Sur le chantier de leur nouvelle construction, à Ursy, la terre excavée est immédiatement travaillée, mélangée avec du ballast et du ciment, compressée en béton aussitôt projeté à travers des armatures qui composeront les parois et les voûtes de la maison. Le nouveau bâtiment de Pittet Artisans, inauguré en septembre, vaut mieux que mille mots. L’entreprise, qui s’est d’abord développée autour de la ferme familiale à Chavannes-sur-Moudon, prône et prouve le potentiel d’un retour à la terre et aux matériaux naturels dans le domaine de la construction.

Depuis 30 ans, les Broyards qui la composent n’ont de cesse d’expérimenter, de développer des outils et des machines pour rendre pertinente, avec les besoins de l’ingénierie et de l’architecture contemporaine, l’utilisation de matériaux ancestraux comme la terre, le chanvre, les roseaux ou l’argile. Et remettre au goût du jour des méthodes millénaires: briques de terre crue, béton de terre projeté, pisé de terre, voûtes catalanes, enduits, chaux, chanvre. Une philosophie de vie holistique érigée en bâtiments.

Du grand-père au petit-fils

L’histoire commence avec le grand-père, Paul, maçon plâtrier-peintre à Oron, qui baigne dans les techniques de construction du bâti traditionnel. Son fils Pascal, avec son épouse Dominique, fondent Pittet Artisan en 1994. Sébastien, leur fils aujourd’hui quadragénaire qui trotte sur les chantiers depuis l’âge de 4 ans, se dirigera vers des études d’ingénieur civil avant de rejoindre l’entreprise familiale.

«Notre credo? Que les gens doivent se sentir bien dans une maison. Et ce n’est pas possible dans un environnement de plastique, de sagex ou de ciment avec tout ce que ces matériaux dégagent. C’était extraterrestre de le dire il y a trente ans. Aujourd’hui, on le sait», raconte Dominique Pittet. «A l’époque, il n’y avait rien sur le sujet. On s’est renseignés dans les livres, puis on a fait des expérimentations dans notre laboratoire, qui était l’ancienne écurie», rit son mari, Pascal. «Nos premiers essais portaient sur l’utilisation de la chaux, de la caséine – extraite du lait, on en faisait des téléphones en bakélite, c’est entre autres un durcisseur – ou de la colle d’os, selon des techniques ancestrales.»

« Le chanvre, c’est LA solution à toute la problématique actuelle de CO2 dans la construction »
Sébastien Pittet

Les artisans réactivent des techniques d’enduits, puis travaillent le chanvre et développent une méthode d’isolation chaux chanvre. «En 2010, on l’a mécanisée. Aujourd’hui, on a une production homogène rapide et une alimentation industrielle», précise Sébastien Pittet.

«Le chanvre, c’est LA solution à toute la problématique actuelle de CO2 dans la construction, lance-t-il. Renouvelable, très perspirant, le chanvre fonctionne à la fois avec le bâti ancien et avec les nouvelles constructions. Il va bien plus loin qu’un isolant. On peut économiser énormément de béton», note Sébastien Pittet.

Collaboration avec des universités

En 2010, période qui correspond aussi aux débuts des maisons en paille – des réalisations qui nécessitent un gros besoin de main-d’œuvre pour appliquer la terre sur la paille –, Pittet Artisans travaille en parallèle le chanvre et la terre. Poste à souder dans une main, capteurs dans l’autre, ils développent diverses lances pour projeter la terre sur la paille. Des lances de projection de béton adaptées, testées et peaufinées. Depuis quelques années, l’entreprise broyarde collabore avec des écoles d’ingénieurs, notamment la HEIG d’Yverdon, et des universités européennes pour mettre au point de nouvelles techniques pour travailler la terre.

Grâce à leur procédé, elle devient un matériau de construction utilisé en circuit court: recyclage des excavations des constructions directement sur place, avec une moindre utilisation d’eau et moins de transports en décharge. La terre peut être transformée en béton de terre: un béton maigre, c’est-à-dire qu’il contient moins de 200 kg de ciment au mètre cube. «Avec un choix d’outils et de machines spécifiques, économiquement, on se rapproche des prix du béton conventionnel», se réjouit Sébastien Pittet.

Ce n’est pas juste un nouveau produit que propose Pittet Artisans, mais une solution de fond, soutenue par un programme européen de recherche, avec des publications scientifiques à la clé qui permettent aux architectes et ingénieurs de l’utiliser.

Changement d’échelle

Aujourd’hui, Pittet Artisans, qui compte cinq employés, vit un changement d’échelle. L’entreprise travaille actuellement sur trois prototypes pour réaliser un plancher mixte bois-béton de terre dans le cadre d’un projet de 25 000 m2, à Genève, conçu et développé avec le bureau d’ingénieurs INGPHI de Lausanne et la HEIG d’Yverdon. Des tests sont réalisés sur des poutres de 9 mètres de long.

Un pied au CHUV, l’autre aux Jeux olympiques

Avec le chanvre, Pittet Artisans a aussi mis un pied au CHUV dans le cadre de rénovations. Les essais d’entretien ont surpris en bien au niveau de la résistance. Des essais acoustiques et phoniques suivront. Tandis que cet été trônait au pavillon suisse des Jeux olympiques un bar en terre et roseaux élaboré dans les locaux d’Ursy.

L’utilisation des techniques anciennes n’empêche pas les artisans de vivre dans l’air du temps, avec l’usage de lunettes de réalité augmentée à la place de plans pour monter notamment des voûtes. Baptisées catalanes ou sarrasines, ces voûtes figurent en bonne place dans l’éventail des possibles de l’entreprise broyarde. Et vivent un regain d’intérêt général dans les constructions contemporaines en général. «Non seulement on se sent bien dessous, mais elles permettent d’économiser énormément de matériaux, du béton en l’occurrence, car c’est la géométrie qui fait la structure, la résistance», détaille Sébastien.

Broye

Elevage. La viande la plus chère du monde

Depuis 2017, l’agriculteur de Vulliens Christophe Chappuis élève des bœufs wagyu. Cette race nippone est réputée pour la qualité de sa viande. Un projet singulier, découlant d’une initiative familiale. Rencontre.