Des vigiles de la Gouglera sont à bout
Chargés de surveiller le centre pour requérants de Chevrilles, ils dénoncent leurs conditions de travail
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Marc-Roland Zoellig
7 juin 2019 à 23:22
Chevrilles » Leur mission, telle qu’elle leur était décrite dans les annonces d’emploi auxquelles ils ont répondu: sécuriser le périmètre du Centre fédéral pour requérants d’asile de la Gouglera et encadrer ses résidents, qui attendent pour la plupart d’être renvoyés de Suisse. Mais cet hiver, ils se sont retrouvés à déblayer la neige, à nettoyer la cuisine du personnel et surtout à enchaîner les horaires irréguliers les privant de repos jusqu’à l’épuisement. Aujourd’hui, beaucoup de ces vigiles, employés par l’entreprise Securitas SA, elle-même mandatée par la Confédération, n’en peuvent plus. Certains sont en arrêt maladie.
«Nous faisons jusqu’à 54 heures par semaine, six jours sur sept. Il m’est arrivé de travailler durant 13 heures pendant trois journées d’affilée, en alternant service de nuit et service de jour, avant d’enchaîner avec trois jours de travail à horaire normal. C’est inhumain», témoigne l’un d’eux. Horaires éreintants transmis au dernier moment, pressions de la part de la hiérarchie, copinage en faveur de certains employés, personnel en sous-effectif chronique, tels sont quelques-uns des griefs revenant dans la conversation.
Pas de contrats fixes
«Et le pire c’est que, après plus d’une année passée à Chevrilles, nous n’avons même pas de contrat de travail fixe», ajoute un autre vigile, pointant le caractère illégal de cette situation. Ces hommes et ces femmes doivent se contenter de contrats horaires, sans obligation pour leur employeur de les faire travailler…
La plupart ont pourtant répondu à des annonces leur faisant miroiter un emploi à plein-temps. «Certains ont déménagé exprès dans le canton de Fribourg!» Aujourd’hui, ils se retrouvent à enchaîner des heures payées 26 francs 50 brut, attribuées de manière arbitraire, en se voyant promettre mois après mois des contrats fixes qui n’arrivent jamais, dénoncent-ils. «Nous devons effectuer 180 h mensuelles pour toucher à peine 4000 fr. net!» Ceux qui refusent de se plier à la planification horaire erratique de leur hiérarchie sont sanctionnés. «On ne leur donne simplement plus de travail, donc plus de salaire!»
Problèmes de sécurité
A côté de leurs emplois du temps démentiels, les vigiles sont en outre fermement invités à suivre des formations, notamment linguistiques, à leurs frais et sur leur rare temps libre. Avec des examens réguliers à l’appui qui, même s’ils sont réussis, ne se traduisent par aucune progression salariale ni avancement au sein de l’entreprise. «C’est absurde de nous obliger à maîtriser l’allemand alors que les requérants ne le parlent pas!» s’emporte un collaborateur.
Les vigiles de la Gouglera sont également confrontés à une population potentiellement difficile. «Nous côtoyons des personnes qui ont parfois des couteaux ou de la drogue sur elles. Il y a eu des cas de tuberculose, de gale, d’hépatite C. Certains d’entre nous ont des enfants à la maison!» Aucun d’eux n’a subi d’agression physique, mais plusieurs ont été témoins de scènes violentes entre requérants. «Il y a eu des cas d’automutilation, des coups de folie… Il est aussi arrivé qu’une vigile femme doive rester en poste toute la nuit, seule avec une vingtaine d’hommes.» Le matériel mis à disposition par l’employeur serait en outre insuffisant: radios qui ne marchent pas, deux sprays au poivre seulement à se partager entre la totalité des vigiles…
«Que des numéros»
«En soi, notre travail est intéressant», relativise l’un d’eux. «Nous évoluons dans un milieu multiculturel, et notre rôle ne se cantonne pas à la répression. Mais nous n’arrivons plus à récupérer. Securitas nous pousse à bout avant de nous remplacer par d’autres, qui subissent le même sort. Nous ne sommes que des numéros.» Un vigile expérimenté affirme n’avoir jamais connu cela ailleurs. Le sous-effectif endémique et l’épuisement des collaborateurs, qui a également des répercussions sur leur vie personnelle, mettraient en danger la sécurité publique. «Des collègues pourraient ne pas être en état d’agir en cas de besoin.»
Le climat de travail déplorable aurait aussi un impact direct sur la qualité du recrutement: faute de trouver des personnes compétentes acceptant de se plier à ces conditions, Securitas aurait commencé à se rabattre sur des candidatures de deuxième choix. «Certains des nouveaux ne savent rien faire. J’ai vu l’un d’eux partir en courant juste parce qu’un homme avait crié derrière une vitre», témoigne un vétéran, selon qui cette situation commence à poser des problèmes concrets de sécurité. «Je le dis tout net: pour moi, Securitas doit quitter la Gouglera», ajoute l’un de ses collègues.
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