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Société

La saga anti-Covid de l’ artemisia

Le président de Madagascar défend depuis un an une plante médicinale comme remède miracle. Bilan


 Gilles Labarthe

Gilles Labarthe

16 mars 2021 à 02:01

Santé » Chine, Tanzanie, Cuba, Brésil… depuis le début de la pandémie de Covid-19, de nombreux pays ont vanté les mérites de «leur» plante médicinale traditionnelle comme moyen de lutter efficacement contre le virus. A Madagascar, l’artemisia annua s’est retrouvée au cœur d’une étonnante saga politico-médiatique pleine de contradictions, qui a envahi internet et les réseaux sociaux. Retour sur l’année exceptionnelle d’une petite plante herbacée, aussi appelée armoise annuelle ou absinthe chinoise.

16 mars 2020. Après l’Italie, durement touchée, la pandémie de coronavirus se répand à toute vitesse en Europe. La France annonce son premier confinement. Pour les expatriés et binationaux, c’est l’angoisse. Comment faire pour retourner au pays? Là-bas, quelle est la situation? Et les nouvelles de la famille?

Début avril 2020. Chacun fait le décompte des contaminations et des victimes. Le continent africain semble encore épargné. «Heureusement, à Madagascar, il n’y a presque pas de malades du Covid-19, soupire une ressortissante travaillant comme aide-soignante en Suisse romande. Il paraît que notre président a trouvé un remède, une plante utilisée dans la médecine traditionnelle.»

En effet: le 8 avril, Andry Rajoelina, président de la République et ex-chef d’entreprise actif dans l’événementiel, le capital-risque et la publicité, apparaît sur la chaîne TV nationale et déclare: «J’ai reçu une lettre, le 24 mars, indiquant que Madagascar possédait le remède qui pourrait guérir le coronavirus.» Qui, quoi, comment? Mystère.

Jour de Pâques

Dès le 12 avril, la suite apparaît sur son compte Twitter: «En ce jour de Pâques, #Madagascar adresse un message d’espoir au monde. Face au #COVID19 nous pourrons proposer un remède traditionnel amélioré constitué de plantes médicinales malagasy qui a déjà fait ses preuves.» Il parle de «changer le cours de l’histoire dans cette guerre mondiale contre l’épidémie».

20 avril: c’est la date du lancement officiel et commercial du fameux Covid-Organics CVO – ou tambavy (tisane) CVO, en malgache. Le remède se présente sous forme d’un liquide brun caramel, dans des bouteilles en plastique. Il est aussi distribué dans des bidons de cinq litres ou en sachets de tisane à infuser. Efficace en «sept jours», affirme Andry Rajoelina qui, depuis se déplace toujours avec sa bouteille. La composition? On sait seulement qu’il est fabriqué à base d’artemisia annua – qui pousse et est cultivée en abondance sur la Grande Ile – et de quelques autres plantes médicinales.

Entre-temps, une enquête du magazine Jeune Afrique révèle que la «lettre» recommandant au président malgache la solution miracle «émane de Lucile Cornet-Vernet, fondatrice et vice-présidente de la Maison de l’artemisia». Il s’agit d’une association humanitaire fondée en 2012, basée à Paris et présente dans 23 pays d’Afrique, dont Madagascar. Son objectif, promouvoir l’artemisia annua comme plante antipaludique: elle est utilisée depuis des siècles en Asie pour combattre les fortes fièvres.

L’artemisia a aussi été mise à l’honneur et popularisée en 2017 par un film documentaire à charge intitulé Malaria Business, avec comme intervenant le chanteur belgo-congolais Stromae et la voix de l’actrice française Juliette Binoche. Serait-elle efficace contre le coronavirus? Aucune étude n’a encore été réalisée à large échelle pour le confirmer. Des articles scientifiques mentionnent que la plante a été testée par la Chine dans des traitements complémentaires du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-1) puis dans le nouvel épisode de coronavirus. Alors, quel crédit accorder au nouveau CVO, élaboré par l’Institut malgache de recherche appliquée – IMRA et qui a encore moins fait l’objet de tests suivis?

Mise en garde de l’OMS

Le 4 mai 2020, l’OMS se fend d’un long communiqué conseillant la prudence et regrettant l’absence d’essais cliniques. D’autres institutions et experts mettent en garde (voir ci-dessous). Ils sont aussitôt accusés sur les réseaux sociaux d’être à la solde de l’industrie pharmaceutique, en pleine déferlante de théories complotistes envahissant le web.

Le président dénonce une cabale des pays occidentaux, jaloux qu’un remède africain efficace soit seulement envisageable. Il prétexte alors que 15 pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont déjà passé une commande de CVO – affirmation aussitôt démentie par la Cedeao. Qu’à cela ne tienne: le Gouvernement malgache fait don par caisses entières de CVO à une dizaine d’autres pays africains et mobilise l’armée pour en distribuer sur son propre territoire. Un regret, bientôt exprimé par des bénéficiaires: le remède est distribué sans indication de posologie. Le liquide mis en bouteille n’étant pas stabilisé, il fermente et perd son principe actif.

Juillet-août 2020: avec la saison hivernale, Madagascar subit une flambée de contaminations et enregistre des pics de plus de 600 nouveaux cas par jour. Une véritable guerre de communication s’installe. Les partisans du CVO clament son succès et évoquent les rapports encourageants de premières recherches menées par des instituts au Congo-Brazzaville ou en Allemagne – dont les résultats sont mis en doute par ailleurs.

Octobre 2020. Les ventes de CVO en bouteille sont en chute libre sur la Grande Ile. Distributeurs et revendeurs les bradent à perte, pour tenter de liquider leurs stocks. Le 23 octobre, le directeur de l’IMRA annonce à la presse nationale que la production est «temporairement suspendue». Or, même à Madagascar, une grande partie de la population n’y croit plus. La pression monte, tout comme les menaces et intimidations sur les protestataires.

Mars 2021. Il n’est toujours pas question de campagne de vaccination dans le pays. Madagascar ne s’est pas inscrit au dispositif Covax, qui permet en théorie à une centaine de pays parmi les plus pauvres d’avoir accès à des doses. Tandis que le Ministère de la santé fait toujours la promotion du CVO, les derniers décomptes officiels recensés font état de plus de 20 000 cas et 300 morts. Andry Rajoelina n’a pas lancé les études cliniques tant promises pour le CVO, mais son gouvernement se retrouve confronté à d’autres chiffres: non pas du laboratoire, mais du terrain. Des chiffres qui, hélas, faute de dépistages suffisants, s’avèrent très en deçà de la réalité.

 

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