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Canton

Les fromages tirent le frein à main

Face à des ventes en baisse, le Gruyère AOP et le Vacherin fribourgeois AOP réduisent la production

L'entreprise Sugnaux SA de Romont, connue pour ses robots destinés au soin des fromages dans les caves d'affinage, conçoit désormais des équipements pour les laiteries fromageries. Reportage à la laiterie de Bouloz en Veveyse, équipée d'une presse à fromages créée par Sugnaux SA. Photo Lib/Charly Rappo, Bouloz, 22.09.2021Charly Rappo/Charly Rappo / La Liberté

 Thibaud Guisan

Thibaud Guisan

1 avril 2023 à 04:01

Economie » Coup de froid sur le marché du fromage. Après des ventes qui ont explosé durant la pandémie de Covid-19, la plupart des spécialités suisses font face à un recul des ventes, particulièrement à l’étranger. En cause: un climat de consommation miné par les incertitudes découlant des tensions géopolitiques, l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat.

La situation préoccupe la filière, qui prend des mesures. L’interprofession du Gruyère AOP (IPG) vient d’annoncer un renforcement des restrictions de production mises en place depuis le début de l’année. «Nous sommes obligés de prendre des mesures pour ne pas être en surstock ces prochains mois. Il n’est jamais agréable d’annoncer ce genre de mesure, mais le but est de ne pas toucher aux prix de vente», relève Philippe Bardet, directeur de l’IPG.

Quotas à la baisse

Une diminution des quotas de production de 3% par rapport à 2022 avait été imposée aux producteurs pour les trois premiers mois de 2023. L’IPG tire à nouveau sur le frein à main: les producteurs se voient désormais imposer – sous peine d’amende en cas de non-respect – une diminution de 5% des quotas jusqu’à la fin de l’année.

La décision – qui ne concerne pas le Gruyère d’alpage AOP – n’est pas anodine. En 25 ans, ce n’est que la troisième fois que l’IPG impose des restrictions de production. Il faut remonter à 2016 pour trouver trace d’une telle mesure. Contexte de l’époque: l’abandon du taux plancher par la Banque nationale suisse, en 2015, qui renchérissait le Gruyère AOP dans la zone euro. «Nous avions imposé à deux reprises des restrictions de 10%», se rappelle Philippe Bardet.

Le Vacherin fribourgeois AOP serre également la vis. Son interprofession a récemment imposé une restriction des quotas de 5% aux producteurs, à appliquer sur les six premiers mois de 2023. La limitation concerne également l’alpage et sera appliquée sur toute la saison d’estivage. «Les courbes de la production et de la consommation ne sont pas alignées. Il faut procéder à un rééquilibrage», expose Romain Castella, directeur de l’interprofession du Vacherin fribourgeois AOP (IPVF).

Fort recul en Europe

Comptant parmi les produits premium à l’étranger, le Gruyère AOP et le Vacherin fribourgeois AOP souffrent de l’inflation, qui renchérit leur prix hors des frontières nationales. En 2022, le Gruyère AOP, qui exporte 40% de sa production, a enregistré une baisse des ventes à l’étranger de 6,2%. Sur les deux premiers mois de 2023, les exportations sont en baisse de 16,4%. «L’Europe, où le recul est de 10% l’an dernier, a été très sensible à la guerre en Ukraine. Dès le déclenchement du conflit, nous avons ressenti une baisse, alors qu’aux Etats-Unis, la situation a bien tenu jusqu’en novembre. Les deux premiers mois de 2023 sont couci-couça, mais les chiffres ne sont pas tombés à zéro. Il ne faut pas oublier que nous restions sur un record d’exportation», nuance Philippe Bardet, qui évoque un volume de 14 167 tonnes de Gruyère AOP vendu à l’étranger en 2021.

Le Vacherin fribourgeois AOP, dont un peu plus de 10% de la production est exportée, avait aussi connu un record d’exportations en 2021 (413 tonnes). Pour 2022, le recul des ventes à l’étranger avoisine 10%. «En France et en Allemagne, où la majeure partie des volumes sont exportés, nous avons enregistré un recul des ventes déjà au milieu de 2022», note Romain Castella.

En Suisse, une baisse de la consommation s’est fait sentir à l’automne. «A côté des pressions économiques et des craintes des ménages par rapport à leur revenu, la météo n’a pas été favorable. Une bonne partie de notre fromage est consommée sous forme de fondue lors de la saison froide. Or l’hiver n’a jamais commencé. De ce point de vue, la météo a été catastrophique autant pour nos stations de ski que pour le Vacherin fribourgeois. De plus, nous devons composer avec une forte croissance de la concurrence indigène dans le créneau du fromage fondu», constate le directeur de l’IPFV.

Efforts marketing

Le Vacherin fribourgeois AOP entend lancer une offensive commerciale dès cet automne. Objectif: augmenter sa présence dans la distribution au niveau suisse. «Nous avons encore des parts de marché à prendre», estime Romain Castella, qui ambitionne une percée dans l’assortiment des stations-service, des hard discounters ou des plateformes de vente en ligne.

Le Gruyère AOP peut, lui, s’appuyer sur un plus large réseau de distribution, sur ses terres comme à l’étranger. «Notre produit est toujours bien référencé en Suisse dans toutes les parties du pays. Pour notre visibilité, nous investissons par exemple dans le curling et le ski de fond. A moyen terme, cela paie et permet d’augmenter notre présence, notamment dans les pays nordiques. Cela permet d’atténuer un peu le choc», juge Philippe Bardet.

Les volumes restent tout de même appréciables pour les deux spécialités qui ont progressé ces dernières années. Pour 2023, le Gruyère AOP table sur une production de 31 500 tonnes, contre environ 32 700 tonnes en 2022 et 30 755 tonnes en 2019. «Il y a 20 ans, nous en étions à 26 000 tonnes. En moyenne, les quotas ont augmenté tous les trois ans de 1%», positive Philippe Bardet. De son côté, le Vacherin fribourgeois AOP estime que la production atteindra 3100 tonnes en 2023, contre 3241 tonnes en 2022 et 2933 tonnes en 2019.

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