Sévérité accrue envers les Tibétains
La pratique de l’asile s’est durcie envers la population himalayenne, cible de la Chine communiste
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Philippe Boeglin
2 septembre 2020 à 04:01
Réfugiés » Certains n’en ont pas cru leurs yeux: en vertu d’un accord bilatéral, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) invite parfois des fonctionnaires de Chine pour l’aider à identifier des immigrés chinois destinés au renvoi (notre édition du 30 août). La présence en Suisse d’agents spécialement envoyés par le régime communiste, régulièrement critiqué pour ses violations des droits de l’homme, ne plaît pas à tout le monde. On reproche à Berne de faire toujours plus de concessions au géant asiatique, véritable eldorado économique.
Plus largement, cet accord avec le SEM, dévoilé par la NZZ am Sonntag, attire l’attention sur la politique d’asile suisse dans les questions liées à la Chine. Par exemple à propos des Tibétains, population opprimée par Pékin. Les conditions pour devenir réfugié se sont durcies depuis 2014.
A l’origine de ce tour de vis, on retrouve un jugement du Tribunal administratif fédéral, sur lequel le Secrétariat d’Etat aux migrations base sa pratique. Depuis lors, certains Tibétains ne peuvent plus prétendre à obtenir le statut de réfugié. «Lorsqu’une personne de l’ethnie tibétaine ne peut pas démontrer de façon convaincante avoir été socialisée en Chine (le Tibet fait officiellement partie de la Chine depuis son annexion en 1951, ndlr), ainsi que la durée de cette socialisation, le SEM rejette la demande d’asile et ordonne le renvoi», précise le SEM.
En revanche, si un Tibétain parvient à apporter la preuve «de sa socialisation en Chine jusqu’à son voyage en Suisse, il est reconnu comme réfugié». Le but est d’éviter que la Suisse ne protège «des personnes qui, avant de venir en Suisse, ont vécu légalement dans un autre pays où ils n’ont pas besoin de protection». Les Tibétains déboutés ne sont pas renvoyés en Chine.
Cette approche s’applique à d’autres populations. Elle résulte de la volonté de la droite du parlement, qui s’attache depuis des années à restreindre l’asile.
Coïncidence?
L’année 2014 est un moment pivot pour les Tibétains demandeurs d’asile. C’est aussi l’année où l’accord de libre-échange Suisse-Chine entre en vigueur, à la grande satisfaction des milieux économiques. Officiellement, il n’y a pas de lien. Mais certains politiciens ne cessent de voir une évolution favorable à la Chine dans l’attitude de Berne.
«La pratique est certainement devenue plus rigide à partir de 2014», constate Jens Burow, conseiller de la communauté des sans-papiers tibétains en Suisse. «Si un demandeur d’asile tibétain ne peut pas prouver que son pays d’origine est le Tibet, on part du principe qu’il est né et socialisé dans un autre pays comme le Népal ou l’Inde.» Le problème réside souvent dans les documents d’identité. Les Tibétains ne produisent pas ceux escomptés par le SEM.
A lire les statistiques, une tendance se dégage. Elle doit être relativisée, car les Tibétains ne sont pas comptabilisés séparément, mais avec les Chinois. Entre 2009 et 2014, le taux de protection (réfugiés et admis provisoires) des Chinois oscillait entre 64,9 et 85,1%. Puis, de 2015 à 2019, ce taux navigue plus bas, entre 50,1 et 69,8%. Attention: un taux de 51,2% avait été déjà observé en 2004, par exemple.
Pratique plus sévère
Le climat restrictif se ressent dans un autre domaine de l’asile, celui des «cas de rigueur». Dans le jargon, un «cas de rigueur» peut être un étranger sans permis de séjour, résidant depuis plusieurs années en Suisse, à l’intégration jugée bonne, et qui ne peut être renvoyé, car on ne peut déterminer son pays d’origine ou parce qu’il y courrait de grands dangers. De nombreux Tibétains sont considérés comme cas de rigueur, avec à la clé un statut plus stable.
Mais là aussi, la pratique des autorités serait devenue plus sévère. C’est l’avis du conseiller d’Etat zurichois Mario Fehr (ps), dont le canton compte historiquement de nombreux Tibétains. «Ces dernières années, le SEM refuse davantage de demandes d’asile de Tibétains qu’auparavant. Cela concerne aussi les demandes de cas de rigueur: les Tibétains sont désormais plus fréquemment refusés, et ils sont surreprésentés parmi les personnes qui n’obtiennent pas le statut de cas de rigueur.»
Refus rares mais récents
Les statistiques que nous fournit le SEM affichent très peu de refus: 5 depuis 2010 sur des centaines de cas. Mais tous ont été prononcés récemment, entre 2017 et 2019.
En outre, d’autres candidats au «cas de rigueur» ont vu leur requête rejetée par leur canton. La communauté des sans-papiers tibétains en a dénombré plus de trente, répartis sur huit cantons alémaniques (SG, BE, ZH, LU, AG, NW, GR, SO) et le Tessin.
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