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Suisse

L’Etat doit-il punir l’homophobie?

Dans l’optique du vote du 9 février, l’opposant Marc Früh (udf) croise le fer avec Mathias Reynard (ps)


 Philippe Boeglin et Boris Busslinger, Le Temps

Philippe Boeglin et Boris Busslinger, Le Temps

22 janvier 2020 à 02:01

Homophobie » Le 9 février, le peuple dira s’il accepte une nouvelle norme pénale qui prévoit de punir plus durement l’homophobie propagée publiquement.

Débat entre l’opposant bernois Marc Früh, de l’Union démocratique fédérale (udf), et le Valaisan Mathias Reynard, conseiller national socialiste.

Les insultes et violences physiques sont déjà punies pénalement. A-t-on vraiment besoin d’une nouvelle règle pour protéger les LGBT+ (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et autres orientations sexuelles)?

Mathias Reynard: Avant la norme antiracisme, une personne de couleur agressée pouvait déjà porter plainte pour coups et violences. Le législateur a toutefois estimé que ces attaques spécifiquement dirigées contre un groupe distinct étaient particulièrement graves et devaient être considérées comme des critères aggravants. Dans la loi actuelle, qui protège l’ethnie, la race et la religion, quelqu’un qui prétend qu’il est normal que la communauté juive ait subi un génocide sera ainsi condamné. Il est par contre possible de soutenir à la télévision sans être inquiété que les homosexuels sont des dégénérés. C’est une lacune juridique.

Marc Früh: Je ne vois pas quelqu’un venir à la télévision pour injurier les homosexuels. Ce ne serait pas accepté par notre société pacifique. Vous citez les Juifs, mais il faut se rappeler que ces derniers ont été massacrés par millions pendant la Seconde Guerre mondiale, tandis que les martyrs homosexuels, je n’en connais pas. Insinuer que le peuple suisse traite mal ces gens… J’ai un autre avis. Il y a un problème de savoir-vivre. Je regrette qu’une partie de la population craigne de sortir le soir, mais cette peur est la même pour les personnes âgées. Nous ne réussirons pas à vivre en paix en passant par le Code pénal. L’apprentissage de la tolérance et du respect mutuel passe par l’éducation, notamment par des lois spirituelles bibliques que l’on retrouve en Jésus-Christ.

Il n’est donc pas nécessaire de «juridifier» le problème?

M. F.: Non. La Constitution fédérale suffit. Elle stipule la chose suivante: «Nul ne doit subir de discriminations du fait de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses…»

M. R.: Malheureusement, la pratique prouve que des propos violents à l’encontre des homosexuels ont déjà été écrits dans les médias sans que le Tribunal fédéral ne puisse intervenir à défaut de base légale. Et la Constitution n’est pas directement applicable par la justice. Vous parlez des personnes âgées. Mais celles-ci ne se font pas insulter parce qu’elles sont âgées. A contrario, la violence à l’encontre des homosexuels est spécifique, structurelle, et elle conduit certaines personnes au suicide. Il faut agir.

Un autre aspect du débat concerne la liberté d’expression. Ne va-t-on pas la limiter?

M. R.: Pas du tout, et ceci pour deux raisons. La première: lisons cette norme. Elle ne cite que l’incitation à la haine et à la discrimination. Les tribunaux suisses en font une interprétation stricte, ajouter un critère ne changera pas la pratique. Deuxième raison: je constate que la norme antiracisme n’a empêché aucun débat musclé sur le nombre d’étrangers en Suisse ou leur place dans le pays. De manière analogue, il sera tout à fait possible de s’opposer au mariage pour tous sans être condamné pour incitation à la haine.

M. F.: Lorsque vous mettez une épée de Damoclès, trois ans de prison ou une peine pécuniaire au-dessus de la tête des gens, ils seront muselés et réfléchiront avant de s’exprimer pour éviter le risque d’être condamnés. A l’étranger, beaucoup de plaintes ont été déposées en se basant sur des normes similaires. En Angleterre, le cas du docteur Mackereth par exemple, qui s’est fait licencier pour avoir refusé d’appeler «Madame» une personne transsexuelle barbue et disposant d’attributs masculins. On voit où mène ce genre de nouvelles lois.

Ethnies, religions et races sont déjà protégées. Nous discutons ici d’orientation sexuelle, où est la limite?

M. R.: Le droit doit correspondre à la réalité d’une société. La norme antiracisme a été créée en 1995 pour répondre à l’émergence d’un problème. Aujourd’hui, on constate qu’il y a des violences et des discriminations à l’encontre des homosexuels qui mènent parfois au suicide. Il est donc nécessaire d’adapter le droit pour éviter des souffrances.

M. F.: Ce n’est pas en adaptant le Code pénal qu’on fera évoluer les mœurs. Vous parlez de suicide, mais j’ai travaillé pendant 20 ans dans le milieu carcéral et je peux vous dire que les jeunes qui se suicidaient avaient tous des problèmes de prostitution masculine. Insinuer que la haine de la société pousse les homosexuels au suicide est faux.

M. R.: L’immense majorité des homosexuels ne sont pas dans la prostitution. Les jeunes qui font des tentatives de suicide le font parce qu’ils sont discriminés, parce qu’ils sont violentés, parce qu’ils ont des difficultés à s’assumer, parce que le regard de la société est violent.

M. F.: Si vous regardez l’affaire Matzneff en France…

M. R.: Mais c’est un pédophile! Vous liez l’homosexualité à la pédophilie ou à la prostitution. Cela n’a pas le moindre rapport.

M. F.: A l’adolescence, la distinction entre pédophilie et prostitution est très difficile à établir. Je dis que ceux qui se suicident sont majoritairement liés à la prostitution masculine.

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