Média populaire » Dès la seconde moitié du XVIIe, avec le développement rapide de l’imprimerie, apparaissent de nombreux almanachs portant le titre de Messager boiteux. Les Allemands le nomment Hinkende Bote, les Italiens Corrier zoppo. Des chercheurs en ont recensé plus de 80, dont le Véritable Messager boiteux de Berne et Vevey, le plus ancien almanach suisse encore publié à ce jour. Edité sans interruption depuis 1707, distribué en Suisse romande et en France voisine, il était à ses débuts la traduction d’un almanach bâlois, le Basler Hinkende Bott, lancé avec succès dès 1676 et qui a vraisemblablement inspiré cette foison de reprises.
Son nom a essaimé en Suisse, en Allemagne du Sud et en Alsace (où Le Grand Messager boiteux de Strasbourg existe encore), mais aussi dans d’autres pays d’Europe et jusqu’aux Etats-Unis sous le titre de Poor Richard. Mais le personnage a-t-il vraiment existé? Et comment se fait-il qu’il ait eu une telle renommée, au point d’être consacré, dès 1927, comme une figure emblématique de la Fête des vignerons?
Figure populaire
L’historienne Liliane Desponds, auteure d’un ouvrage de référence sur le sujet¹, évoque la piste de la «figure populaire»: «Au XVIIe siècle, le personnage du messager boiteux n’était peut-être pas une invention nouvelle, mais sa diffusion a profité du contexte historique. Rappelons que l’époque, qualifiée de «moderne», est caractérisée par une société de classes, avec des strates diverses selon qu’on vit en ville ou à la campagne. On y trouve encore beaucoup d’illettrisme, mais aussi des «feuilles» ou gazettes qui circulent, de même que des libelles et pamphlets. L’almanach, dans cette explosion de l’imprimerie, succède aux conteurs et autres messagers. En ce siècle féroce marqué par d’incessantes guerres, où les cantons suisses envoient des mercenaires, les soldats blessés et estropiés sont légion. La figure du soldat amputé, qui bat la campagne pour survivre en vendant un almanach tiré de sa besace est aussi populaire que celle de Guillaume Tell pendant la Révolution helvétique. Il s’agit d’une figure allégorique en somme.»