L’UDC dit tenir aux droits de l’homme
L’initiative contre les juges étrangers pourrait créer des conflits avec la convention européenne
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Philippe Boeglin
13 août 2016 à 07:00
Initiative populaire » L’UDC repart en guerre, seule contre tous. Décidé à faire un sort aux juges étrangers, le parti souverainiste a déposé hier son initiative «Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination)». Dans le même temps, la formation blochérienne s’apprête à lâcher du lest sur le 9 février et la mise en œuvre de son texte contre l’immigration de masse. Entretien avec le président du parti, le conseiller national bernois Albert Rösti.
Pourquoi n’avoir pas dirigé l’initiative explicitement contre la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)?
Albert Rösti: En fait, notre initiative n’attaque pas du tout cette convention, même si nos adversaires l’affirment continuellement. Nous n’avons aucune intention de résilier la CEDH. Nous respectons le droit international impératif et ses principales normes, comme par exemple l’interdiction de l’esclavage, du génocide et de la guerre d’agression. D’ailleurs, tous ces points figurent depuis longtemps dans la Constitution fédérale suisse.
Que ciblez-vous donc avec cette initiative d’autodétermination?
Nous voulons régler le conflit entre le droit international et certaines de nos initiatives populaires, observé plusieurs fois ces dernières années. Prenons l’expulsion des étrangers criminels: les juges du Tribunal fédéral (TF) avaient soutenu, après la votation, que le texte n’était pas applicable car il enfreignait le droit international.
Aujourd’hui, nous connaissons les mêmes difficultés avec l’initiative contre l’immigration de masse: le TF a déjà déclaré qu’il privilégierait l’Accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne (UE), même si le Parlement fédéral adoptait unilatéralement une loi introduisant des contingents. Et bien entendu, l’initiative d’autodétermination permettrait de fermer la porte au futur accord-cadre institutionnel avec Bruxelles.
Des conflits pourraient toutefois survenir avec la Convention européenne des droits de l’homme…
Non, parce que l’initiative accepte la primauté du droit international impératif sur la Constitution fédérale. Et je le répète: nous tenons à la CEDH. Si un conflit apparaît avec la CEDH, ce sera avec le droit international non impératif. Dans ce cas, notre initiative réclame que le TF doit accepter la prévalence de la Constitution fédérale. D’ailleurs, l’Allemagne ou le Royaume-Uni font de même et ils sont restés membre de la CEDH.
Un conflit important existe aujourd’hui entre droit suisse et droit international: il découle du vote populaire du 9 février. Si l’initiative pour l’autodétermination est acceptée, l’Accord sur la libre circulation des personnes devra être dénoncé…
Dans ce cas, c’est le parlement qui devra enfin limiter l’immigration de masse, unilatéralement s’il le faut! L’UE sera alors libre de décider si elle veut dénoncer cet accord. Mais j’en doute, vu qu’il faudrait l’assentiment de tous les Etats membres.
Maintenant, soyons réalistes: ni notre Conseil fédéral, ni notre parlement, ne sont prêts à mettre en œuvre le 9 février unilatéralement. Alors si on ne trouve pas une solution pour réduire l’immigration lors des prochaines sessions parlementaires, il ne restera plus que l’UDC pour obtenir une résiliation du contrat sur la libre circulation.
Vous faites ici référence à une future initiative de résiliation déjà évoquée…
Oui, mais nous la considérons comme une ultima ratio, une solution de dernier recours. Nous allons tout d’abord examiner la loi d’application du 9 février que le parlement devrait voter et voir si l’on peut effectivement se passer des contingents et des plafonds, comme le veulent tous les autres partis. Mais si cette solution ne conduit à aucune réduction conséquente de l’immigration, nous lancerons cette initiative de résiliation.
Quelles garanties exigez-vous du parlement pour vous rallier à une mise en œuvre sans contingents et plafonds?
Si la solution du parlement va dans la bonne direction et remédie à la situation actuelle, nous nous abstiendrons peut-être au moment du vote pour éviter de n’avoir plus rien en main à la fin. Mais la décision du groupe parlementaire sera prise à la fin du débat.
Par contre, si la gauche parvient à imposer des mesures d’accompagnement supplémentaires, nous voterons «non» et saisirons le référendum. Mais ce n’est pas notre scénario favori, car cela signifierait revenir à zéro.
Vous ne voulez pas attendre le règlement définitif du Brexit pour éventuellement vous calquer sur l’accord obtenu?
Non, nous ne pouvons pas patienter indéfiniment pour concrétiser la volonté du peuple. A chaque nouvelle année qui passe, la population suisse augmente de l’équivalent de la ville de Saint-Gall, à cause de l’immigration.
Renoncer – même provisoirement – aux contingents et aux plafonds, n’est-ce pas tromper les citoyens qui ont voté «oui» le 9 février 2014?
Nous n’allons jamais approuver de solutions alibis. Si la proposition au parlement nous paraît valable, nous lui donnerons une chance, même si je ne crois absolument pas que le modèle Ambühl aura un impact réel. Pour nous, le but principal, c’est la réduction de l’immigration.
Quel seuil d’immigration maximum fixez-vous?
En 2014, au moment du vote, le solde migratoire net s’élevait à 80'000 personnes. La limite devrait donc demeurer au-dessous de 40'000 et tenir compte des intérêts économiques.
L’initiative essuie une pluie de critiques
L’initiative de l’UDC visant à assurer la primauté du droit suisse sur le droit international a provoqué une pluie de réactions. Le parti national-conservateur se défend de vouloir dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Mais il aimerait y mettre des lignes rouges. Impossible et hypocrite, rétorquent ses opposants.
Les ténors de l’UDC se sont voulus rassurants à l’heure de déposer leur initiative populaire: contrairement à ce que disent leurs opposants, «nous n’avons aucunement l’intention» de dénoncer la CEDH, a affirmé le spécialiste en droit international de l’UDC, le conseiller national zurichois Hans-Ueli Vogt.
L’association Dialogue CEDH, qui a lancé la campagne médiatique «Facteur de protection» pour soutenir la convention, rappelle dans un communiqué que ce n’est pas possible. «On ne peut signer la CEDH que totalement, ou alors ne pas la signer.»
Les partis n’ont pas manqué de dénoncer les intentions cachées de l’UDC, accusée de vouloir éliminer les effets de la CEDH pour la Suisse. «Sans avouer qu’il faudrait alors la résilier. Après la dictature militaire grecque, la Suisse serait le premier pays européen qui viserait une résiliation de la CEDH», écrit une large alliance de partis de tous bords.
Si la Suisse acceptait cette initiative, elle enverrait un «signal extrêmement négatif» à la communauté internationale quant à sa volonté de respecter les droits humains, a renchéri la section suisse d’Amnesty International.
Pourtant, la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg n’est en rien un «bailli étranger», mais bien un tribunal nommé en commun par les Etats membres. «La dernière instance pour celles et ceux qui se défendent contre une violation de leurs droits en Europe», fait valoir une autre association, Appel urgent, qui a réuni 50'000 signatures en ligne pour s’opposer au texte de l’UDC.
«Quelle contradiction: il y a à peine deux semaines, la Suisse a fêté son mythe fondateur, qui se base sur une promesse mutuelle. Aujourd’hui, l’UDC dépose son initiative qui vise à violer des traités», a déploré Opération Libero, un mouvement lancé par des jeunes universitaires de tendance libérale et progressiste. ATS
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Les juges étrangers dans le collimateur
L’UDC n’a eu aucune peine à récolter plus de 116 000 signatures pour son initiative, déposée hier à Berne, visant à consacrer la primauté du droit helvétique sur le droit international.
Le droit suisse doit primer sur le droit international. L’UDC a déposé hier son initiative populaire «Le droit suisse au lieu de juges étrangers», munie de 116'709 signatures. Le parti accuse les élites d’un «coup d’Etat» contre le peuple et la Constitution.
Selon la Constitution fédérale, le peuple suisse et les cantons sont le législateur suprême de notre pays, a déclaré Christoph Blocher lors d’une conférence de presse à Berne. Or l’autodétermination législative de la Suisse est constamment minée.
Les coupables, selon le tribun de la droite populiste: le parlement, le gouvernement, l’administration, la justice et les professeurs de droit. «Ils ont constitué une alliance inquiétante pour destituer sournoisement le constituant.»
Leur intention est évidente, ces milieux cherchent à museler la démocratie directe. «Il ne s’agit ni plus ni moins d’un coup d’Etat» contre le peuple et la Constitution, accuse l’ancien conseiller fédéral Christoph Blocher.
Et le président du parti Albert Rösti de renchérir: depuis 2012, plusieurs décisions du Tribunal fédéral placent le droit international au-dessus des décisions du peuple suisse.
La mise en œuvre de l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels, l’initiative sur l’internement à vie, sur l’imprescriptibilité des crimes pédophiles: autant d’exemples où les juges de Lausanne ont, par leurs décisions, bafoué la démocratie directe et la séparation des pouvoirs, selon l’UDC. Mais le parti tient la solution, affirme-t-il: son initiative populaire corrigera ce cap dangereux en donnant la primauté du droit suisse par rapport au droit international.
Car «nous sommes des souverainistes convaincus», a abondé le vice-président de l’UDC et conseiller d’Etat valaisan Oskar Freysinger. La question de la primauté du droit suisse est donc la mère de toutes les batailles, toutes les autres problématiques, notamment l’asile et la migration, y sont liées.
Le texte stipule que la Confédération et les cantons respectent le droit international. Mais la Constitution fédérale est placée au-dessus, «sous réserve des règles impératives du droit international» (interdiction de la torture, du génocide et de l’esclavage, notamment).
L’initiative indique aussi que la Confédération et les cantons ne contractent aucune obligation de droit international qui soit en conflit avec la Constitution suisse. Sinon, ces obligations doivent être adaptées et les traités dénoncés, si besoin.
L’initiative sur l’autodétermination vise aussi à empêcher toute reprise automatique ou «dynamique» du droit de l’UE. Christoph Blocher a lancé la semaine dernière sa campagne contre un accord-cadre institutionnel entre la Suisse et l’UE. Selon lui, un tel accord obligerait le pays à suivre les décisions de la Cour européenne de justice et le mettrait sous tutelle. aTS
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