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Tennis

Il souffre mais cela ne se voit pas

Quasi impotent il y a trois semaines, Nadal compte parmi les favoris de Wimbledon. Comment l’expliquer?


 Pierre Salinas

Pierre Salinas

25 juin 2022 à 04:01

Tennis » Le qualificatif est caviardé, parce qu’utilisé à toutes les sauces, mais ne pas oublier, jamais: n’en déplaise à cette énergie parfois indécente qu’il déploie à chaque frappe, Rafael Nadal est d’abord un homme talentueux, et pas seulement raquette de tennis en main. Le week-end passé, entre une semaine d’entraînement dans l’académie qu’il a fondée sur son île de Majorque natale et un départ pour Londres pour une nouvelle session pratique sur herbe, l’Espagnol de 36 ans aux 22 titres majeurs n’a-t-il pas pris la 5e place du championnat des Baléares de golf, à huit coups seulement du vainqueur, un professionnel?

Rafael Nadal a de l’or entre les doigts mais la mort dans le pied gauche. Victime du syndrome rare et incurable de Müller-Weiss qui peut conduire à la nécrose pure et dure de l’os naviculaire, situé dans le métatarse, il souffre depuis l’âge de 18 ans, dit-il. Il souffre, mais cela ne se voit pas, sur un terrain pour le moins, ce qui ajoute à sa légende et au regard incrédule que le public, les plus fervents supporters de Roger Federer et Novak Djokovic en particulier, porte sur lui.

Avec des béquilles

Scepticisme. Ahurissement. Rafael Nadal, ou l’histoire d’un quasi impotent qui, trois semaines plus tard, compte parmi les favoris du tournoi de Wimbledon, lequel débute lundi sur les courts du All England Club, où il s’est déjà imposé deux fois. Deux jours après son 14e titre à Roland-Garros, tournoi qu’il n’aurait pu disputer sans des injections anesthésiantes qui n’ont pas manqué de susciter la polémique, l’inénarrable «Taureau de Manacor» était aperçu avec des béquilles au sortir d’une clinique de Barcelone, où il venait de subir un nouveau traitement par radiofréquence pulsée (PRF). En quoi consiste-t-il?

«Une canule, semblable à une aiguille, est placée à proximité du nerf à l’aide d’une radiographie ou d’un guidage par ultrasons. Un courant électrique d’une certaine fréquence est ensuite délivré. Le nerf responsable de la perception de la douleur est ainsi sclérosé», explique le Dr. Angela Seidel, responsable du Team pied à l’Hôpital fribourgeois, contactée par nos soins.

Le grand chelem?

Le PRF serait-il la panacée? Peut-être. Pas plus tard que mercredi, Carlos Moya lui-même, l’humilité faite entraîneur, évoquait ouvertement la possibilité de réussir le grand chelem. «C’est un objectif réaliste, a-t-il confié au micro d’Eurosport. C’est la première fois de sa carrière qu’il est en position de le faire, mais nous voyons encore ça comme quelque chose de lointain. Nous ne sommes encore qu’à la moitié du chemin.»

Au même moment ou presque, Marc Rosset, champion olympique en 1992 et ancien No 9 mondial, confessait à la RTS son étonnement de voir Rafael Nadal s’aligner sur le gazon anglais: «Après Roland-Garros, je pensais vraiment qu’il allait couper et se reposer. Mais son traitement a apparemment fonctionné au-delà de ses espérances. Ce sera intéressant de voir ce qu’il pourra faire à Church Road.» Une première indication est tombée sous la forme d’une victoire 6-2 6-2 sur Stan Wawrinka lors d’un match exhibition à Hurlingham, une autre adresse londonienne.

«Gros décalage»

Rafael Nadal, roi du contre-pied. «Il raconte qu’il ne peut plus marcher et, trois semaines plus tard, il veut gagner Wimbledon. Je comprends le gros décalage que certains perçoivent», commente Patrick Vienne, médecin et directeur de la Clinique du pied, à Lausanne. Ancien athlète de haut niveau aussi. Et de préciser: «Ces infiltrations anesthésiantes sont des techniques éprouvées qui permettent d’effectuer des performances sans être embêté par la douleur. Mais elles ne vont pas améliorer ces mêmes performances.»

«Chloroformer» l’un de ses membres inférieurs pour mieux gambader: un paradoxe, encore un. Mais à quel point l’être humain est-il capable de fouler à petits pas rebondis un sol sans en ressentir ses aspérités? «Quand on anesthésie, on coupe la faculté de proprioception qui permet au système nerveux de récolter les informations provenant de la musculature. Sans ça, pas de contrôle. Impossible, même, de dérouler le pied, reprend Patrick Vienne. Mais l’on peut être assez sélectif aussi, à savoir anesthésier un territoire avec un effet suffisant sur la douleur mais en gardant une sensibilité assez importante sur la voûte plantaire, ce qui est essentiel pour le placement et la coordination. Comme son mal est chronique, je pense enfin qu’il a augmenté son seuil de tolérance à la douleur.»

«Nadal signe des chèques sur sa santé que son corps ne sera pas capable de payer.» En 2005 déjà, Andre Agassi avait tiré la sonnette d’alarme. Près de deux décennies plus tard, l’increvable est toujours là, plus résilient que jamais. Immortel.

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