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Bienvenue en Amazonie

Alors que l’étau se resserre sur les géants de la tech, deux essais révèlent leur emprise sur la société


 Thierry Raboud

Thierry Raboud

28 juin 2021 à 17:34

E-commerce » C’est un géant que l’on regarde encore de loin. La plateforme de vente en ligne Amazon ne possédant pas de centre de distribution en Suisse, l’internaute est pour l’heure renvoyé sur les sites allemand ou français, où il n’a accès qu’à une partie des produits. Mais l’offre pourrait doubler ces prochains mois, car le programme «Expédié par Amazon», qui permet aux vendeurs tiers de confier stockage et livraison au mastodonte américain, sera bientôt étendu à notre pays.

A moins que l’entreprise ne soit contrainte de réviser ses ambitions: jeudi dernier, une commission américaine approuvait une série de lois visant directement les rois de la tech et leurs positions monopolistiques, ouvrant la voie à de possibles démantèlements. C’est que «l’Amérique en a assez», a asséné le président de cette commission sur l’antitrust.

C’est un paysage dévasté qui apparaît à l’ombre de cette firme omnipotente dont le logo est un rire jaune.

Assez de ce Système Amazon dont on découvre les ravages dans une vaste enquête tout juste publiée aux Etats-Unis, traduite dans la foulée. Sous-titré Une histoire de notre futur par l’éditeur français, l’ouvrage multiplie les portraits pour prendre le pouls d’une Amérique du clic déchirée entre winners et losers. Et c’est un paysage dévasté qui apparaît à l’ombre de cette firme omnipotente dont le logo est un rire jaune.

Avantages fiscaux

Journaliste pour le New Yorker, Alec MacGillis a commencé son enquête en 2018, bien avant qu’Amazon ne profite de la pandémie pour augmenter ses profits autant que son emprise sur la société américaine. «Cette firme offre le cadre idéal pour comprendre les Etats-Unis et ce qu’ils sont en train de devenir, étant donné la kyrielle de forces contemporaines qu’elle représente et qu’elle aide à décrypter», note l’auteur au seuil de sa cartographie d’une Amazonie en expansion.

«Il y avait les villes réservées aux ingénieurs et aux développeurs informatiques, les villes à data centers, et les villes à entrepôts.»
Alec MacGillis

On en suit les lignes de faille d’Ohio en Virginie septentrionale et de Seattle à Washington. «Le mastodonte avait segmenté sa main-d’œuvre en classes qu’il avait réparties un peu partout sur la carte: il y avait les villes réservées aux ingénieurs et aux développeurs informatiques, les villes à data centers, et les villes à entrepôts.» Cités traversées par de violentes déchirures dans le tissu social et économique, après avoir accueilli à bras ouverts le géant aux promesses d’emplois, garantis en échanges d’exonérations d’impôt.

Des avantages fiscaux négociés dans une totale opacité, auprès de municipalités tenues au secret par des clauses de confidentialité. «Il fallait avoir un sacré culot, en tant qu’entreprise, pour demander une exonération fiscale auprès d’un Etat dont on s’employait à vider méthodiquement les caisses par le biais d’une activité d’e-commerce précisément conçue pour contourner la TVA… mais du culot, on en avait à revendre chez Amazon.» Jusqu’à organiser ce grand reality show national, mettant les villes en concurrence pour l’accueil de son second quartier général – tandis qu’à Seattle, les 45’000 employés du siège font exploser les prix de l’immobilier et le nombre de sans-abri.

Plongeant dans les arcanes du lobbyisme, l’auteur remonte jusqu’à la capitale pour révéler les incroyables pressions exercées par l’entreprise sur les agences fédérales afin de contrer toute décision défavorable à son développement. Influence d’autant plus discrète que le Washington Post, principal organe de presse de la ville, est propriété du fondateur d’Amazon Jeff Bezos.

Parmi l’arsenal des outils de manipulation dont elle fait usage, le chantage: Amazon a fermé son unique entrepôt au Texas lorsque l’Etat l’a obligée à payer 270 millions de dollars d’arriérés… avant que celui-ci ne renonce à réclamer son dû. Des avantages structurels qui transforment cet acteur en prédateur, capable de vendre à perte jusqu’à éliminer toute concurrence.

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