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Vaud

Au syndicat, l’union fait la force

Rencontre avec trois enseignants syndicalistes déterminés dans la lutte pour l’indexation des salaires

Une grève «des profs bien payés»? Françoise-Emmanuelle Nicolet, Cora Antonioli et David Jeanquartier (de g. à dr.) balaient cette critique.

 Selver Kabacalman

Selver Kabacalman

4 mai 2023 à 04:01

Lutte syndicale » Un autre round de négociations entre les syndicats et le Gouvernement vaudois aura lieu aujourd’hui concernant la revalorisation des salaires de la fonction publique et parapublique. Au cœur de ce processus, trois syndicats: la Fédération des sociétés de fonctionnaires et du parapublic (FSF), le Syndicat des services publics (SSP) et la Fédération syndicale SUD. Retour sur les principaux enjeux avec trois syndicalistes investis dans ces négociations.

«C’est la première fois depuis très longtemps qu’il y a une si forte émulation dans le canton et que nous arrivons à polariser autant autour d’un sujet», lance David Jeanquartier, secrétaire général de la FSF depuis sept ans. Et de poursuivre: «C’est également la première fois que nous nous confrontons à un gouvernement qui, par ses actions et par sa position, nourrit la lutte syndicale alors qu’avant, nous étions dans une culture de compromis à la vaudoise.»

Ses camarades de lutte, Cora Antonioli du SSP et Françoise-Emmanuelle Nicolet de SUD, aussi très impliquées dans ces négociations, évoquent, elles, aussi un moment historique.

«Démarrage mou»

La mobilisation a grossi ses rangs au fur et à mesure. «Nous avons été surpris par son ampleur. Lors des deux premières actions, il n’y avait que 300 à 400 personnes, soit le noyau dur des syndicats. Nous essayions pourtant d’informer sur la non-indexation depuis la rentrée 2022, mais nous n’arrivions pas à amener les gens dans la rue», ajoute Cora Antonioli. «Cela a démarré mollement le 13 octobre. Beaucoup pensaient à tort que l’indexation était automatique», précise Françoise-Emmanuelle Nicolet.

Le moment de bascule? Le 8 décembre, lorsque le gouvernement annonce qu’il n’indexera les salaires qu’à 1,4%, sans avoir consulté au préalable les syndicats. «C’est à partir de là que le blocage a débuté vraiment», indique Cora Antonioli. «Nous avons tout de même été surpris que la grève du 23 janvier, juste après Noël, soit très à froid, soit aussi suivie», poursuit Françoise-Emmanuelle Nicolet. Il faut remonter à 2008, à propos de la nouvelle grille salariale, pour retrouver une mobilisation d’une telle ampleur de la fonction publique vaudoise.

Mais les syndicats ne sont pas partis de rien. Les mobilisations sur le parascolaire en 2018 ou encore de la Grève féministe de 2019 ont permis de réactiver les collectifs déjà implantés sur les lieux de travail et d’élargir le mouvement à d’autres secteurs. Sans donner de chiffres, les syndicalistes affirment que les fonds de lutte ont été beaucoup sollicités ces derniers mois. «Cela représente globalement plusieurs fois le budget envisagé. Il s’agit d’un bon indicateur de mobilisation», précise Françoise-Emmanuelle Nicolet.

«Avec les remboursements, on voit qu’on s’inscrit dans une mobilisation de l’ampleur de 2008.» Elle souligne aussi «l’unité syndicale historique» de leurs trois organisations. Ainsi qu’une «vague d’adhésions» jamais vue chez SUD. Cora Antonioli relève également un afflux auprès du SSP.

En grève par solidarité

Mais ce qui a vraiment changé la donne est, selon les trois syndicalistes, que le principe de l’indexation a été «enfin compris». Le travail pédagogique des syndicats a payé. «Dès que les gens ont saisi ce que cela signifiait, que ce n’était pas automatique, que tous les mécanismes salariaux, y compris les annuités, peuvent être remis en question, ils se sont mobilisés. Ils sont passés en quelques mois de «t’inquiète pas c’est automatique» à «je m’arrête de travailler», poursuit la syndicaliste de SUD.

On a beaucoup entendu que la grève était celle «des profs bien payés». Une critique que les trois syndicalistes balaient rapidement. «C’est vrai qu’il y a beaucoup d’enseignants, mais c’est aussi parce que nous sommes très organisés depuis un certain nombre d’années. Reste qu’il s’agit d’une mobilisation interprofessionnelle. Les enseignants viennent aussi en soutien pour des autres secteurs de la fonction publique. La solidarité est visible: les gens ont déjà tenu six jours de mobilisation», souligne Cora Antonioli.

David Jeanquartier rappelle de son côté la participation des policiers, des gendarmes, des gardiens de prison mais aussi du personnel d’entretien des routes.

Quant aux salaires, Mme Nicolet, qui enseigne depuis 1987, précise qu’il s’agit d’une «préconception erronée». «De nombreux enseignants sont à temps partiel sans l’avoir choisi et même une fois arrivés au sommet de leur carrière après 26 ans d’enseignement, ils peuvent n’atteindre que le salaire médian suisse s’ils sont par exemple à 65%. La difficulté de payer les factures ou celle d’avoir des enfants aux études touchent aussi les enseignants. Les prix augmentent pour tout le monde. Et il faut le dire: il est légitime de défendre son revenu.»

Même si une nouvelle rencontre avec le gouvernement est à l’ordre du jour ce jeudi, la bataille n’est pas gagnée. «Les députés à droite de l’hémicycle attaquent agressivement ce qui est perçu comme des avantages de la fonction publique», relève David Jeanquartier. «Heureusement les gens comprennent qu’il ne s’agit pas d’un privilège en moins, mais d’une perte de salaire», poursuit-il.

Rencontres décevantes

Les trois syndicalistes qui ont pris part aux négociations avec le gouvernement avec plusieurs de leurs collègues attendent de «réelles propositions». Les trois premières rencontres ont été décevantes. «La première fois, ils nous ont conviés à une séance d’information. La deuxième fois, ils n’avaient aucune proposition. Ce n’est que lorsque nous avons menacé de quitter les négociations qu’ils sont arrivés avec ce paquet de 47 millions dont une grosse partie concerne d’autres mesures qui n’ont rien à voir avec la lutte que nous menons sur les salaires», répondent-ils.

Sur ce point, Cora Antonioli fustige le gouvernement: «C’est incroyable, même sur des dossiers comme le harcèlement ou l’école inclusive, sur lesquels ce sont nos demandes qui ont impulsé des débuts de réflexion dans les départements, il réussit à ne pas consulter les principaux intéressés et à arriver avec des solutions déjà ficelées.»

Si le «gouvernement Luisier» déçoit, les trois syndicalistes attendent tout de même des actions au minimum à la hauteur de ce qu’ont fait les autres cantons. «Car sinon, je crains une rupture totale dans certains secteurs qui se trouvent sur le fil, comme au CHUV», confie Françoise-Emmanuelle Nicolet. Pour la doyenne du trio du jour, le syndicalisme a encore de beaux jours devant lui au vu des décisions prises.

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