De requérant d’asile à apprenti
Pour certains Ukrainiens, se former, c’est de vivre leurs passions. Rencontre avec deux apprentis
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Yvan Pierri
7 octobre 2023 à 18:45
Formation
» Au sous-sol de la cuisine du restaurant des Trois Tours à Bourguillon, Andrii Dobrianskyi, 17 ans, découpe minutieusement des poires. Cela fait environ deux mois qu’il a été engagé dans l’établissement gastronomique en tant qu’apprenti boulanger-pâtissier-confiseur. Pour le jeune Ukrainien, l’exercice n’a rien d’inhabituel. La pâtisserie est une passion qu’il nourrissait déjà à Netichyn, sa ville natale d’Ukraine occidentale, avant que l’invasion russe le 24 février 2022 ne le pousse à quitter son pays.
Andrii passe la majeure partie de sa vie en Ukraine, où il effectue sa scolarité obligatoire. Quand les premiers missiles atteignent Kiev, Andrii est poussé par ses parents à quitter le pays. D’abord réticent à l’idée de laisser sa famille, il finit par céder et part seul pour la Pologne avant de rejoindre la Suisse, où sa tante est installée. «Je suis arrivé ici sans rien connaître. Je ne savais même pas parler la langue.» Il s’inscrit rapidement à un cours de français tout en recherchant une activité professionnelle. Le restaurant gastronomique recherche à ce moment-là un extra en service: «Il s’est présenté un jour et nous a directement proposé son aide», raconte Romain Paillereau, le chef de cuisine. «Son histoire m’a touché.»
Un an en service
Andrii nourrit déjà à l’époque l’espoir de commencer un apprentissage de pâtissier et il se dit: «Pourquoi ne pas commencer quelque chose que j’aime bien ici en Suisse?» Andrii décroche d’abord un préapprentissage dans le service de l’établissement avec lequel il pourra améliorer son français au contact de la clientèle. Après 6 mois durant lesquels il montre une grande faculté d’adaptation, Andrii confie au chef étoilé son ambition de devenir pâtissier: «Il m’a proposé de travailler en pâtisserie en tant qu’apprenti à la fin de mon préapprentissage. J’étais très content.»
Aujourd’hui, Andrii s’investit totalement dans son occupation et apprend à maîtriser son nouvel environnement. «Ça se passe très bien», affirme le pâtissier en herbe. Romain Paillereau, lui, est très heureux des rapides progrès de sa nouvelle recrue. Le futur? Andrii le voit dans la restauration plutôt que dans une boulangerie, environnement qu’il n’apprécie guère. Autre souhait du jeune apprenti, retourner dans son pays natal et y transmettre ses nouvelles connaissances: «La Suisse n’est pas vraiment faite pour moi. Tout est un peu trop calme et j’aime quand ça bouge, comme en Ukraine», sourit Andrii avant de retourner découper ses poires.
Un nouveau départ à 53 ans
Sa compatriote Nataliia Nakoneshna travaille de son côté dans un tout autre contexte. À 53 ans, elle vient de commencer un apprentissage de fleuriste dans la boutique Rosae, à Cormanon: «Ça a toujours été mon rêve de travailler dans ce domaine. J’aime beaucoup les fleurs et la décoration», confie l’ancienne représentante en cosmétique. En Ukraine, Nataliia vivait et travaillait à Kiev, où elle élevait ses deux fils.
En mai 2022, elle arrive en territoire helvétique. L’apprentie fleuriste avait déjà visité le pays et l’apprécie «J’avais des amis à Fribourg, alors j’ai demandé à venir vivre ici.» L’Ukrainienne cherche, en parallèle de ses cours de langue, une activité de bénévole dans un magasin de fleurs. Avec l’aide d’une professeure de français, elle finit par trouver Rosae en novembre 2022: «Nataliia est venue à raison de trois matinées par semaine, pendant deux ou trois mois», relate Cathia Bulloni, la patronne de la boutique depuis juillet dernier. Elle n’était pas encore responsable quand Nataliia est arrivée à Rosae mais elle a rapidement remarqué sa créativité et sa curiosité. «Elle était directement très motivée et optimiste. Nous étions très impressionnés par sa rapidité et son envie de travailler.»
Un ancien rêve
Nataliia marque le personnel par son tempérament extraverti et son aisance avec les clients: «Grâce à mon travail précédent, j’ai développé beaucoup de compétences dans la vente, ce qui me permet de m’adapter à ce nouveau métier», pointe l’apprentie fleuriste. Dès le début, Nataliia se sent accueillie et soutenue par l’équipe de la boutique. En juin, elle réussit un examen linguistique de français: «J’ai demandé à Cathia si c’était possible d’obtenir une place d’apprentissage dans son magasin et elle a dit oui.»
Si le français pose quelques légers problèmes à Nataliia lors de ses cours à l’école professionnelle, elle sent qu’elle apprend vite et ne cache pas sa joie. Elle se dit être reconnaissante de l’opportunité que représente cette formation: «J’ai enfin commencé à travailler en tant que fleuriste. Quand je vivais en Ukraine, je n’osais pas vraiment changer de métier car je me sentais bien dans l’entreprise où je travaillais.» Nataliia souhaite obtenir son certificat fédéral de capacité (CFC) et continuer à acquérir de l’expérience en tant que fleuriste. Quand la situation le permettra, Nataliia compte retourner dans son pays. «Peut-être qu’un jour, j’ouvrirai mon magasin de fleurs en Ukraine.»
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