Dans l’antre de Fromage Gruyère
Tchiiz! ou les «caves ouvertes» du terroir proposaient samedi de découvrir la nouvelle halle de Bulle
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Stéphane Sanchez
2 décembre 2019 à 02:01
Affinage » «Magnifique cave! Ça a de la gueule!» sourit Philippe Dénervaud. Comme une septantaine de curieux, samedi, cet hôte un peu particulier a profité de la 2e édition de Tchiiz! pour visiter la nouvelle cave de Fromage Gruyère SA. Et de fait, cet antre de l’affineur bullois, opérationnel depuis janvier dernier, a de quoi impressionner: 14 travées de 40 mètres alignent des milliers de meules (30 000 à pleine capacité) dans l’odeur piquante de l’ammoniac. Plus qu’une cave: une banque où s’apprécient près de 8,5 millions de francs de Gruyère AOP.
L’auditoire, vêtu de blouses, de chaussons et de casquettes, fait cercle autour de Christophe Bochud. Le chef d’exploitation de Fromage Gruyère empoigne l’un des 20 000 tablards en épicéa (fribourgeois) du site. «Ils ne sont pas rabotés. Sans quoi le fromage «cuit» et se décompose. Car ces meules sont vivantes, elles doivent respirer», explique le fromager. L’air de la halle est renouvelé 8 fois par jour, maintenu à 12,5 °C et à 92% d’humidité. Raison pour laquelle les visites perturbatrices sont rares.
Retournés jour et nuit
Christophe Bochud se tourne vers l’un des 13 robots de la société, qui cliquette dans l’une des allées. Jour et nuit, la bête de 230 000 francs porte, retourne et brosse sans rechigner, revenant deux fois par semaine sur chaque pièce de 34 kg. «Il fait du 110 meules à l’heure, détaille Christophe Bochud. Chacun des lots a droit à un programme de soins sur mesure.» «Avant, ça se faisait à bras. C’était pénible», approuve une visiteuse venue de Cressier.
Fromage Gruyère SA achète 180 000 meules par an, auprès de trente fromageries de plaine et d’une petite vingtaine de producteurs d’alpage. Mensuel, l’achat passe par un test organoleptique, à coups de sonde. Critères: l’homogénéité et l’allure de la meule, l’élasticité de la pâte, sa texture et son goût. «L’AOP a dopé la qualité. Plus de 98% des meules ont 18 points ou plus. Nous avons très peu de pertes», résume le chef.
Prises en charge à trois mois et demi, les meules passent parfois jusqu’à leur seizième mois à Bulle. «C’est comme des grands crus: magique. L’herbe de La Roche ou celle du Crêt peuvent moduler le goût. Chaque producteur a ses secrets, tout en restant dans la cible du cahier des charges de l’AOP. Mon travail, c’est de maîtriser tous les paramètres et de déterminer la durée de maturation, pour que chaque lot exprime sa qualité optimale.»
Philippe Dénervaud, maître fromager à Villaz-Saint-Pierre, ne perd pas un mot. Tout comme son personnel, qui participe à Tchiiz! à l’occasion de sa sortie d’entreprise. «On est curieux de ce qui se fait ailleurs. Nos meules à nous sont affinées dans la molasse, sur palettes. On les voit à peine. Et c’est plutôt le fromager qui doit adapter sa production», note le Glânois.
Mais Fromage Gruyère, samedi, n’a pas pu tout dire. Pas le temps d’aborder la récente construction de la cave, un investissement de 5 millions de francs qui a permis à la société d’embaucher un 24e collaborateur – toujours plus difficiles à débusquer. Pas le temps non plus d’évoquer le côté vert de l’infrastructure: la halle cache 280 m3 de bois suisse, rien que pour la charpente, qui aligne des portées de 34 mètres. Et 2000 m2 de capteurs solaires ont été installés. Ils couvrent 50% des besoins du site.
De Bulle au Japon
La capacité de stockage de Fromage Gruyère atteint désormais 130 000 places, concentrées sur ses deux sites de Planchy. Environ 6000 tonnes de Gruyère AOP, soit 20% de la production annuelle totale, y transitent. Et plus de 40% du Gruyère d’alpage AOP est affiné à Bulle. «Nous servons de régulateur de stock pour les autres affineurs suisses», explique le directeur, Ralph Perroud. «Et nous exportons 11% de notre production dans 18 pays, notamment aux USA, en Angleterre, au Japon, en Corée ou en Australie. Nous visons des marchés de niche, avec un Gruyère haut de gamme qui pèse 3% de notre production. Un petit frère sortira en 2020.»
Pas de communication sur le chiffre d’affaires. «Mais l’image des «barons» du Gruyère nous colle à la peau, alors que la marge de l’affineur n’est pas la plus grosse, dans la filière, glisse le directeur. Il y a six ans que le prix du Gruyère n’a pas bougé. Les charges salariales, de transport et d’analyse de qualité, elles, ont augmenté.»
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