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Écrans

Pris dans une spirale monstrueuse

Guillermo Del Toro revient avec un film noir dans les règles de l’art, magnétique et personnel

Stanton Carlisle (Bradley Cooper) s’engage dans un sombre tunnel qui pourrait bien lui faire perdre son âme.

 Olivier Wyser

Olivier Wyser

18 janvier 2022 à 13:11

Temps de lecture : 1 min

Nightmare Alley » Après le triomphe retentissant de La Forme de l’eau en 2017 – quatre Oscars dont ceux du Meilleur film et du Meilleur réalisateur, et une pluie de récompenses internationales, notamment à la Mostra de Venise –, le cinéaste mexicain Guillermo Del Toro plonge sa caméra dans l’univers malaisant, ténébreux et poisseux du film noir. Il porte à l’écran Nightmare Alley, le roman culte de William Lindsay Gresham publié en 1946 et déjà adapté au cinéma l’année suivante avec Tyrone Power dans le rôle principal. Si La Forme de l’eau était un beau conte fantastique sur le pouvoir transcendantal de l’amour entre une femme de ménage et un homme-poisson, ce nouveau long-métrage est à l’inverse une descente vertigineuse dans la noirceur de l’âme humaine. Une allée cauchemardesque qui porte bien son nom.

Un casting dément

Les premières images du film nous font découvrir Stanton Carlisle (Bradley Cooper), traînant un cadavre par les pieds avant de le jeter dans un trou et de lui mettre le feu. Glaçant. Antihéros au passé visiblement trouble, Carlisle trouve refuge un peu par hasard dans une foire itinérante. Le genre d’endroit peuplé de freaks en tout genre où personne n’osera poser de question sur votre pedigree, de peur peut-être d’avoir la réponse. Stanton Carlisle se fait vite accepter par cette famille dysfonctionnelle dirigée par l’inquiétant Clem (Willem Dafoe) et son bras armé Bruno (Ron Perlman), l’homme le plus fort du monde, vante son numéro d’haltérophilie. C’est auprès de Zeena (Toni Colette) la cartomancienne et de son mari Pete (David Strathairn) qu’il trouvera du réconfort. Ancien mentaliste, Pete prend Stanton sous son aile – contre quelques rasades de gnôle – afin de lui enseigner les ficelles du métier.


Désormais solidement aguerri dans l’art de manipuler les foules et de simuler la télépathie et la clairvoyance, Stanton Carlisle s’échappe de ce cirque miséreux abonné aux routes abandonnées de la périphérie de petites villes minées par la grande dépression… Il rêve de gloire et s’installe à New York, écumant avec son numéro les lobbies des grands hôtels et les réceptions mondaines. Avec l’aide d’une belle et vénéneuse psychanalyste, Lilith Ritter (Cate Blanchett), Stanton entreprend de plumer ces bourgeois crédules et obscènement riches. Ce sera le début de sa chute.

Il y a toujours un truc

Fasciné de longue date par les monstres, Guillermo Del Toro (Hellboy: les légions d’or, Le Labyrinthe de Pan) trouve dans l’univers carnavalesque et malsain des fêtes foraines d’antan un terrain de jeu à sa mesure. Mais si son film ne manque ni de fœtus cyclopéens au formol, ni de créature mi-homme mi-bête dévorant des poules vivantes (sic), on sent que le cinéaste ne s’arrête pas à la simple valeur de choc de ses images. Il y a pire que les curiosités hasardeuses de la nature, il y a ceux qui les exploitent. Et la laideur de l’âme alimentée par la soif de l’or est encore bien plus effrayante.

Visuellement, le réalisateur ne ménage pas ses efforts pour donner vie à ce cabinet de curiosités grandeur nature. Les décors composés de tentes élimées souvent douchés par une pluie battante sous des cieux coléreux sont filmés avec une obsession du détail qui frise la pathologie. Particulièrement réussie, la lumière du directeur de la photographie, Dan Laustsen, membre de la «famille» Del Toro depuis Mimic en 1997, met en valeur chaque séquence et crée pour le plus grand plaisir du spectateur une ambiance à la fois magnétique et dérangeante. Du grand art qui rappelle par l’image le sentiment de fascination et de répulsion du public pour les monstres de foire.

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