Ciao Maestro, merci pour les émotions
Le compositeur Ennio Morricone, célèbre pour ses musiques de films, est décédé ce lundi
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Olivier Wyser
6 juillet 2020 à 22:54
Hommage » On a tous dans le cœur le souvenir ému d’une musique d’Ennio Morricone. Cette mélopée forte en émotions qui habite les plus profonds méandres de l’âme. Ou tout simplement ce thème que l’on ne peut s’empêcher de fredonner sous la douche… Que ce soit l’envolée mythique à vous filer la chair de poule de L’estasi dell’oro dans le cimetière de Sad Hill du Bon, la brute et le truand, les accélérations de cordes tonitruantes des Incorruptibles ou la douceur nostalgique des mélodies de Cinéma Paradiso.
Le compositeur italien, célèbre depuis plus de 50 ans pour ses musiques de films, est décédé à Rome dans la nuit de dimanche à lundi, à l’âge de 91 ans. Il avait été admis dans une clinique à la suite d’une chute ayant provoqué une fracture du fémur, indique la presse transalpine. Le «maestro s’est éteint à l’aube du six juillet avec le réconfort de la foi. Il est resté pleinement lucide et d’une grande dignité jusqu’au dernier moment», précise un communiqué de l’avocat Giorgio Assumma, proche de la famille. Lauréat d’un Oscar en 2016, Ennio Morricone – compositeur, producteur, chef d’orchestre et trompettiste – laisse un patrimoine de plus de 400 bandes originales pour le cinéma et la télévision ainsi qu’une centaine d’œuvres classiques.
Le son devient de l’or
Né dans la capitale italienne en 1928, fils d’un trompettiste de jazz, Ennio Morricone étudie dès son jeune âge à l’Académie nationale Sainte-Cécile de Rome. Dès 1953, il se lance dans la musique classique mais est également fasciné par la musique expérimentale. Ses premiers arrangements professionnels sont pour une série d’émissions de radio. A partir de 1960, il se tourne vers des musiques plus populaires, notamment pour le cinéma. Après avoir joué les arrangeurs pour d’autres, il signe sa première bande originale en 1961 pour Il federale de Luciano Salce. Le début d’une très longue histoire d’amour avec le septième art.
«La transformation que la musique opère sur les images reste un mystère», reconnaissait le maestro en 2018, invité à Paris par la Cinémathèque française. «Les valeurs que la musique ajoute aux valeurs rythmiques du montage sont impossibles à définir parce qu’elles vont au-delà du cinéma et ramènent le cinéma à la réalité, là où la source des sons a une profondeur réelle et non pas illusoire comme sur l’écran.» La musique de film: cette alchimie. Avec sa sensibilité, Ennio Morricone peut se targuer d’être l’inventeur d’une nouvelle pierre philosophale, celle qui transforme le son en or.
L’art du contrepoint
«C’était l’un des derniers grands compositeurs de musiques de films. Morricone appartenait aussi à une époque où la création musicale pour le cinéma disposait encore de budgets importants», explique Lionel Baier, réalisateur suisse responsable du département cinéma de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL). «Comme Bernard Hermann, Ennio Morricone décrivait l’inconscient du film. Il n’était pas dans l’illustration ou l’amplification de la mise en scène. Morricone n’hésitait pas à jouer le contrepoint. On le voit dans les thrillers de Dario Argento, par exemple le giallo L’Oiseau au plumage de cristal. C’est par essence un film d’horreur mais sa musique à la guitare sèche lui imprime une atmosphère décalée.»
Le spécialiste ajoute que la carrière exceptionnelle du compositeur est également due à ses origines italiennes: «N’oublions pas qu’à une certaine époque, l’Italie produisait le plus grand cinéma du monde. Les Américains venaient tourner dans les studios de Cinecittà qui étaient l’épicentre du cinéma mondial. C’est comme cela qu’il a pu avoir l’occasion de travailler avec des gens comme Brian De Palma, John Carpenter et tant d’autres.»
De riches orchestrations
Ce qui frappe aussi chez Ennio Morricone, c’est la grande personnalité qui se dégage de sa musique. «Il a fait près de 500 musiques de films. Et même s’il y a eu des hauts et des bas, il a su trouver un nombre de solutions musicales très différentes. Même lorsqu’il s’adapte au film, il conserve sa patte», relève quant à elle Delphine Vincent, maître d’enseignement et de recherche au Département de musicologie de l'Université de Fribourg. «Morricone était capable de composer des musiques qui répondent aux fonctions du film tout en tenant la route sans les images.» Il est d’ailleurs l’un des pionniers des concerts de bandes originales il y a plus de vingt ans déjà.
Une capacité à parler directement au cœur de l’auditeur qui s’explique non seulement par un don naturel, mais aussi par une formation professionnelle très complète. «Morricone peut aussi bien faire de la musique dodécaphonique que des airs ultrasimples ou encore des improvisations d’avant-garde. De plus la richesse des orchestrations est souvent surprenante», analyse la spécialiste des musiques de films. Pas étonnant que Morricone fasse partie de notre mémoire musicale collective. Ciao Maestro, et merci pour les émotions.
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