Régulation des cervidés. Le sort du cerf inquiète les chasseurs fribourgeois
La gestion du cerf et des dégâts qu’il cause aux forêts suscite des interrogations chez certains chasseurs.
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Aujourd’hui à 07:00
«Parlons du cerf, ce mal-aimé…» Samedi en milieu de journée, à La Roche, la Fédération fribourgeoise des sociétés de chasse a connu une fin d’assemblée peu ordinaire. S’exprimant à la tribune au nom de plusieurs de ses collègues chasseurs, le Gruérien Jean-Claude Michel a directement interpellé le chef de la Direction des institutions, de l’agriculture et des forêts (DIAF) Didier Castella, installé au premier rang parmi les invités. Au cœur de cette intervention: la gestion du cerf par le canton.
Plus grand ongulé de Suisse, le cerf s’est installé dans le canton de Fribourg à partir de 1978, indique le Service des forêts et de la nature (SFN) sur son site internet. Depuis lors, la population de cerfs et le territoire qu’ils occupent n’ont cessé d’augmenter. Cette recolonisation naturelle n’est pas sans effets, notamment sur la forêt dans laquelle le cerf se nourrit de bourgeons et de pousses. L’animal y est aussi responsable de dégâts à l’écorce des arbres.
Autant d’éléments perturbateurs pour le rajeunissement des forêts, qui ont poussé le canton à mettre en place un concept forêt-cerf, en collaboration avec les cantons de Vaud et de Berne. Les tirs de régulation sont une des mesures prévues par ce document. Ainsi, l’année dernière 220 individus auraient dû être tirés, contre 185 en 2023 et 145 en 2022. Au final en 2024, 200 cerfs ont été prélevés, dont 168 par les chasseurs et 32 par le SFN.
Comptages en question
Coauteur d’un courrier de lecteurs sur le sujet, Jean-Claude Michel relève que cette situation n’est pas inédite. Les objectifs ont rarement été atteints et des tirs complémentaires ont été faits par les gardes-faune presque chaque année depuis 2018, affirme-t-il. De quoi remettre en cause les comptages effectués par l’Etat et qui chiffrent à un millier la population de cerfs au 14 mars 2024 sur le périmètre intercantonal défini dans le cadre du concept forêt-cerf. Pour le chasseur, s’il est si difficile d’atteindre les objectifs définis par le canton, c’est bien que le cheptel de cervidés n’est pas si important et que les quotas fixés sont trop élevés.
«On m’a toujours dit que les comptages sont sous-estimés et qu’on ne fait pas assez de tirs. C’est la première fois qu’on me dit l’inverse. C’est assez particulier s’agissant d’une espèce qui est en plein développement et qui cause passablement de problèmes», a répondu Didier Castella en toute fin d’assemblée. «Il n’y a aucune volonté d’éradiquer cette espèce, par contre elle doit être régulée», ajoute le conseiller d’Etat, tout en précisant que les populations ne sont pas uniquement régulées par la chasse, mais aussi par la nature, que ce soit la météo, des maladies ou des accidents.
Plus tôt dans la matinée, Didier Castella avait déjà abordé la question, lors de son intervention officielle. «Nous essayons de minimiser la pratique des tirs par les gardes-faune, en favorisant l’atteinte des objectifs par la chasse. De nombreuses modifications légales ont été effectuées en 2024 en ce sens, comme la suppression des limites maximales de cerfs prélevés par chasseur ou la prolongation de la chasse», expliquait-il alors.
Chasseur-régulateur
Insuffisant, selon Jean-Claude Michel qui précise respecter le travail des gardes-faune, mais souhaiterait que l’entier de la régulation du cheptel de cerfs soit confié aux chasseurs, tirs complémentaires compris. «Le chasseur perd de plus en plus son rôle de gestionnaire de la faune sauvage, pour endosser une fonction de régulateur, aux ordres des instances de l’administration. Nous ne sommes plus des acteurs actifs de la chasse. Or, nous y avons droit, car nous payons un permis», déplore-t-il, n’hésitant pas à parler de «diktat de l’Etat».
« Le chasseur perd de plus en plus son rôle de gestionnaire de la faune sauvage »
Jean-Claude Michel pointe aussi du doigt un manque de collaboration avec le SFN. «Pourquoi ne pas inclure les chasseurs aux comptages?» se demande-t-il. Le Gruérien suggère encore que les aspirants chasseurs soient mis à contribution «pour favoriser les cerfs – qui jouent aussi un rôle dans le maintien de la biodiversité – par exemple en créant des sous-bois, des éclaircies, etc.» et ainsi limiter les effets négatifs de l’animal sur la forêt. Et de rappeler: «Le chasseur ne conquiert pas la nature, il apprend à en faire partie, respectueux de l’équilibre qu’elle impose.»
Fort du soutien de 25 cosignataires et applaudi au terme de son intervention, Jean-Claude Michel n’entend pas en rester là. «Si je suis intervenu, c’est que ma conscience me disait de le faire et aussi parce qu’il y a un certain ras-le-bol», explique-t-il. «Mon souhait est que la fédération soit proactive. Si on peut lancer le train et que cela débouche sur quelque chose, c’est bien!»
Nouveau président en quête d’un consensus
Elu lors de l’assemblée de samedi, le nouveau président de la Fédération fribourgeoise des sociétés de chasse (FFSC), Michaël Rey, souhaite mettre à profit l’analyse faite par Jean-Claude Michel et les cosignataires de son message. Son objectif: «Trouver un consensus au sein des chasseurs», afin de pouvoir s’exprimer d’une même voix dans les discussions avec l’Etat ou les organisations de défense de la nature. «La fédération va agir dans le cadre des deux commissions cantonales consultatives», ajoute-t-il. «Mais au final, c’est le Service des forêts et de la nature qui décide et je comprends que c’est parfois frustrant.»
Jusqu’ici président de la Diana Sarine, Michaël Rey remplace Anton Brügger à la présidence de la FFSC. Le Singinois avait été élu à la tête de la fédération en 2020. Son successeur, qui relève le départ de plusieurs «dinosaures» du comité cantonal, entend capitaliser sur le travail fait ces dernières années, mais estime aussi pouvoir apporter «une vision différente». Plusieurs dossiers devraient l’occuper, dont la problématique des stands de tir, indispensables à la formation des chasseurs, mais insuffisants dans le canton.
JR