La précarité des chercheurs dénoncée
La relève scientifique universitaire en a assez des contrats à durée déterminée et a lancé une pétition
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22 décembre 2020 à 19:24
Hautes Ecoles » Caroline*, la quarantaine, employée dans le domaine de la culture après un long chômage et une reconversion professionnelle difficile, pensait faire une carrière académique. Elle a jeté l’éponge, elle qui avait été maître assistante à la Faculté des lettres à l'Université de Genève pendant dix ans (dont deux en tant que boursière). Or ce type de poste est à durée déterminée. Arrivée à l’échéance de son contrat après quelques mois sans renouvellement possible, elle a obtenu une suppléance de chargée de cours.
«Ce nouveau poste à durée déterminée ne me permettait pas de vivre. J’ai donc dû m’inscrire au chômage, afin de compléter mes revenus», témoigne la Genevoise. Cette période a duré six mois. «Il n’y avait aucune perspective à court terme. J’aurais dû enchaîner des suppléances, dans l’espoir de tenir jusqu’à ce qu’un poste de professeur se libère, mais sans réelle garantie de l’obtenir, malgré un dossier très compétitif.» Conséquence: elle en a eu assez et a quitté l’université.
Un pas que Stefan*, un postdoctorant de 33 ans à la Faculté des sciences de l'Université de Genève, espère ne pas avoir à franchir. Son contrat est financé par le Fonds national suisse (FNS) jusqu’en avril 2021. «Mon professeur cherche à le prolonger», indique le jeune homme. «Parallèlement, j’ai déposé ma candidature pour d’autres postes, également à durée déterminée. Cette incertitude est très pesante. Après avoir étudié et travaillé à Zurich, Londres, Boston, Philadelphie et maintenant à Genève, je n’ai plus l’énergie pour déménager à nouveau. Du moins pas pour un contrat temporaire.»
Des abandons fréquents
Cette incertitude liée aux postes à durée déterminée concerne environ 80% du personnel académique qualifié. Sont particulièrement touchés les membres du corps intermédiaire qui ont obtenu leur doctorat mais ne sont pas (encore) professeurs.
Une pétition a été lancée début octobre par un collectif regroupant de très nombreuses associations du corps intermédiaire de différentes hautes écoles de Suisse. Elle demande que davantage de postes stabilisés soient créés dans les universités pour les chercheurs postdoctoraux. Elle sera remise au début 2021 au Parlement fédéral.
«Ce texte doit permettre d’initier un dialogue constructif avec toutes les parties prenantes: politiques, autorités fédérales, universités, Swissuniversities (la faîtière nationale), le Fonds national suisse», détaille Wiebke Wiesigel, vice-présidente de l’Association du corps intermédiaire de l’Université de Neuchâtel et membre du comité national des pétitionnaires.
«Le plus grand problème que connaît le corps intermédiaire, c’est la précarité des postes de travail (en règle générale, contrats de 2 à 4 ans)», s’alarme la responsable. «Ces postes, souvent liés à des projets, sont de plus très compétitifs. Dans ces conditions, il est difficile pour ces chercheurs de construire une carrière.» Conséquence: les abandons sont fréquents. «C’est un gâchis énorme pour la société suisse qui a beaucoup investi dans leur formation. Cela représente également une grande perte pour les professeurs, car ils doivent régulièrement recruter et former de nouveaux collaborateurs», déplore Wiebke Wiesigel.
Débats à venir à Berne
Que faire alors? «Le parlement pourrait conditionner l’octroi des subventions aux universités à la création d’un nombre donné de postes stabilisés pour le corps intermédiaire dans un laps de temps défini», imagine Fabien Fivaz, conseiller national (verts, NE) et vice-président de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture.
Pour son collègue de commission, Christian Wasserfallen (plr, BE), il est préférable que les postes du corps intermédiaire soient liés à des projets précis, limités dans la durée. «La compétition est favorable à une recherche de qualité. La pétition risque de remettre en cause l’excellence suisse dans le domaine», estime-t-il. En outre, «la Confédération n’a pas de base légale pour intervenir au niveau de la création de postes fixes dans les universités. Elle ne fait que déterminer un budget cadre.»
Un manque de moyens
Le FNS, qui finance en partie les universités, pourrait-il favoriser la création de postes stabilisés pour le corps intermédiaire? «Cela relève de la responsabilité des hautes écoles», répond Christophe Giovannini, chef de la communication. «C’est possible et financièrement réalisable avec une restructuration de la hiérarchie des emplois existante. Mais augmenter le financement de base au détriment des fonds de recherche liés aux projets affaiblirait la Suisse en tant que lieu de recherche.»
Du côté de la faîtière Swissuniversities, on dit comprendre la préoccupation soulevée par la pétition. Dans une prise de position, l’organisation juge la création de postes stabilisés comme une mesure parmi d’autres pour améliorer les conditions de travail du corps intermédiaire. Mais cela n’est pas possible sans moyens financiers supplémentaires.
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