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Après le scandale: Deux élus dont Gerhard Andrey veulent révolutionner la récolte des signatures

Gerhard Andrey (verts/FR) et Matthias Michel (plr/ZG) vont déposer une batterie de motions en faveur de la récolte électronique des signatures. Ils bénéficient d’un très large soutien.

Le National (Gerhard Andrey, à droite) et les Etats (Matthias Michel, à gauche) ainsi que tous les bords politiques: les motionnaires ont convaincu loin à la ronde. © Keystone
Le National (Gerhard Andrey, à droite) et les Etats (Matthias Michel, à gauche) ainsi que tous les bords politiques: les motionnaires ont convaincu loin à la ronde. © Keystone

Adrien Schnarrenberger

Publié le 18.09.2024

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Et si le «scandale des signatures» débouchait sur une révolution? C’est le grand projet de Gerhard Andrey. Associé au conseiller aux Etats zougois Matthias Michel, le conseiller national vert a arpenté ces derniers jours les Pas perdus pour faire exactement ce qui est au centre du courroux: récolter des signatures.

Promis, celles-ci ne sont ni falsifiées, ni obtenues par des méthodes déloyales, deux des motifs de la vaste enquête diligentée par le Ministère public de la Confédération contre les sociétés au cœur de l’affaire révélée début septembre par les journaux de Tamedia.

«L’e-collecting est beaucoup plus respectueux des données personnelles»
Gerhard Andrey

Les deux élus sont parvenus, à la régulière, à convaincre à large échelle sous la Coupole pour ouvrir la voie à la signature électronique («e-collecting») pour les objets politiques. La coalition a de quoi faire rêver une France en mal de compromis: Gerhard Andrey et cinq collègues alémaniques au National sont derrière le projet, ainsi que tous les groupes aux Etats par l’entremise du libéral-radical Matthias Michel.

Depuis quinze ans

Le timing est particulièrement bon. L’opprobre jeté par cette affaire provoque une crise de confiance envers les signatures, ce que l’e-collecting doit contribuer à résoudre. «C’est un projet sous la Coupole depuis quinze ans déjà, explique Gerhard Andrey. Ce qui a changé, c’est que l’on peut désormais se baser sur l’identifiant de l’e-ID.»

Vieux serpent de mer lancé en 2005, puis torpillé en référendum par le peuple en 2021 en raison de l’implication trop importante d’acteurs privés, l’identité électronique est en effet à bout touchant. Le Conseil des Etats vient de ratifier l’e-ID et son financement par 44 voix contre 1 au début du mois, comme le Conseil national avant lui. La voie est donc libre pour une entrée en fonction autour de 2026.

L’État sera cette fois le fournisseur direct, en collaboration avec les cantons et des partenaires techniques. «Il ne manquait que la volonté politique: elle est là désormais par le fort soutien pour cette motion», explique Matthias Michel. Rencontré sous la Coupole, le sénateur zougois brandit la base légale, qu’il a imprimée: l’ordonnance sur les droits politiques, révisée en 2022. «Via une proposition parallèle, mon collègue de parti Benjamin Mühlemann va demander une législation spéciale pour la collecte en ligne», précise-t-il.

Pour Gerhard Andrey, l’e-collecting a beaucoup d‘avantages. D’abord parce qu’il exprimerait une réelle intention. «Aujourd’hui, les passants signent parfois sans comprendre de quoi il ressort, ou simplement pour se débarrasser de l’insistance des démarcheurs», argumente le conseiller national.

Cela simplifierait aussi la vie des communes, qui doivent aujourd’hui fournir un travail fastidieux et coûteux de vérification, tandis que la sécurité serait largement renforcée. «Certaines personnes ont peur à chaque fois que l’on parle de numérisation. Mais l’e-collecting est beaucoup plus respectueux des données personnelles», assure Gerhard Andrey. Plus besoin, en effet, de laisser son nom et son adresse complète sur des feuilles volantes.

Un risque d’embouteillage?

Le risque se situe plutôt au niveau d’un éventuel embouteillage démocratique. Un coup d’œil sur le site du parlement montre à quel point l’horizon est chargé: de la légalisation du cannabis à la protection «efficace» des frontières en passant par le maintien de l’argent liquide: pas moins de 16 initiatives sont en cours de récolte de signatures, sans compter les deux en phase de décompte et les cinq en suspens devant le parlement.

Vieux serpent de mer lancé en 2005, puis torpillé en référendum par le peuple en 2021, l’identité électronique est à bout touchant

Les Suisses vont-ils devoir voter toutes les semaines à l’avenir? Les deux motionnaires sourient à l’évocation de cette perspective, qui revient lors de chaque discussion sur le sujet. «Je comprends les craintes, mais ça s’appelle la démocratie directe, rétorque Gerhard Andrey. Dans l’absolu, donner davantage aux gens l’envie de s’investir, et en particulier aux jeunes, est une bonne chose.»

Il ne s’agit de toute manière que d’un projet pilote, rappelle l’habitant de Granges-Paccot, prêt à rediscuter à l’usage si la stimulation (encore hypothétique) de la participation venait à se confirmer. «Comme tous les tests, cet essai doit être limité dans un premier temps afin d’en mesurer les effets, dont cette éventuelle distorsion politique», souligne-t-il.

Décentralisé et open source

Mais le temps presse, selon les deux élus qui font partie de la direction de Parldigi, le groupe parlementaire pour un numérique responsable: il faut impérativement restaurer la confiance face à ce qui est un «vrai scandale».

Quid des risques de piratages et autres dérives? «Afin de les minimiser, la mise en œuvre doit être économe en données, décentralisée et open source», répond en chœur le duo fribourgo-zougois. De même, la mise en œuvre technique doit rester aussi simple que possible, dans le sens de ce qu’on appelle dans le jargon informatique un «produit à fonctionnalité minimale».

«Une chance historique de réformer la démocratie»

L’activiste de 51 ans avait eu la peau de l’e-ID en 2019. © Dirk Wetzel

En Suisse, qui dit e-collecting dit Daniel Graf. Ce Bâlois de 51 ans a lancé dès 2015 WeCollect, une plate-forme de récolte de signatures en ligne devenue la Fondation pour la démocratie directe. C’est lui, aussi, le cerveau du référendum qui a torpillé la première mouture de l’e-ID, en 2019, en raison de la présence d’acteurs privés.

Ce citoyen 4.0 voit d’un très bon œil l’initiative de Gerhard Andrey et de Matthias Michel. Parapher une initiative ou un référendum au moyen de l’e-ID «gouvernemental» offre beaucoup plus de garanties sécuritaires: le citoyen sait ce qu’il signe et passe un contrat directement avec l’Etat plutôt qu’avec un comité d’initiative dont il ne sait souvent pas grand-chose, avance l’activiste.

En plus d’éviter les fraudes et un travail très fastidieux pour les communes, le nouvel outil permettrait aux initiants de savoir en direct combien de signatures ont été récoltées, et aussitôt authentifiées. Plus besoin de «matelas» supplémentaire de paraphes pour prévenir d’éventuelles invalidations. «Les partis ne pourraient plus constituer de bases de données de signataires puisqu’ils n’auraient plus accès aux données personnelles», souligne encore Daniel Graf.

«Les partis font mine de soutenir l’e-collecting, mais c’est parce qu’ils sont obligés de réagir au scandale des signatures»
Daniel Graf

Voilà pour la forme. Car l’expert prévient: sur le fond, c’est une transformation profonde de la démocratie directe qui se trame. Récolter 100 000 signatures dans la rue est très compliqué. «Aujourd’hui, les entreprises commerciales demandent jusqu’à 10 francs par signature. Il y a dix ans, c’était 2 francs», explique le Bâlois originaire de Zurich, lui-même opposé à la collecte de signatures payantes.

Compliqué, voire impossible, d’y parvenir sans des reins financiers solides. Les partis et les associations bien ancrées au parlement y arrivent, et ce sont eux qui provoquent un bouchon des objets. Les démarches issues de citoyens «lambda» ou de groupes minoritaires se font rares, alors que c’est pour eux qu’ont été créés, à la base, les outils de démocratie directe.

Une évolution que déplore Daniel Graf. «Les partis font mine de soutenir l’e-collecting, mais c’est parce qu’ils sont obligés de réagir au scandale des signatures. Mais il y aura encore bien des vents contraires avant que le projet n’aboutisse», prévient-il.

La base légale existe en effet depuis 2013, mais ni le Conseil fédéral ni le parlement n’en ont voulu. «Cela montre bien qu’ils ont peur d’un certain transfert du pouvoir au peuple, loin de leur rayon d’influence. J’espère avoir tort et que l’on saisira cette fois cette chance historique de donner davantage de pouvoir à la démocratie directe.»

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