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Canton

«J’aime la pudeur du système suisse»

Comme une caméra subjective, le photographe Nicolas Brodard a capturé le point de vue d’Alain Berset

Sur les clichés apparaissent des personnages de l’ombre. Comme Nicole Lamon, cheffe de la communication du Département fédéral de l’intérieur.

24 avril 2019 à 00:31

Mon souvenir de 2019
Chaque journaliste de «La Liberté» a sélectionné pour vous un article qui l’a touché(e) cette année.


Nicolas Maradan
Rubrique Régions

«Politiquement, l’année 2019 a été intense avec la votation sur la réforme fiscale et le financement de l’AVS (RFFA) au mois de mai, le renouvellement de l’Assemblée fédérale en octobre, etc. Pourtant, l’article qui me vient à l’esprit pour caractériser ces douze derniers mois est cette interview du photographe fribourgeois Nicolas Brodard. Pendant une année, il a immortalisé le monde à travers les yeux du conseiller fédéral Alain Berset. Grâce à une série de clichés saisissants, l’artiste nous rappelle que la politique n’est pas seulement complexe et un peu soporifique. C’est aussi un show avec ses héros, ses intrigues, quelque part entre «Borgen» et «House of cards».»


» Cet article a été publié initialement le 23 avril 2019

Interview » Pendant des mois, le photographe indépendant Nicolas Brodard a voulu coller aux basques d’Alain Berset. Il en tire une huitantaine de clichés, réunis dans un livre qui vient de paraître intitulé Conseiller fédéral (Till Schaap Edition). Des photos sur lesquelles le ministre n’apparaît jamais ou presque mais qui dévoilent son point de vue, comme une caméra subjective. Pour ce travail, le photojournaliste fribourgeois se verra remettre aujourd’hui même un Swiss Press Photo Award dans la catégorie Histoires suisses.

Vous permettez à certains d’assouvir un fantasme: voir le monde à travers les yeux d’un homme de pouvoir. D’où est venue cette idée?

Nicolas Brodard: J’avais sur la Berne fédérale les mêmes fantasmes que tout citoyen. Je considérais ça comme un lieu mystérieux, rempli d’intrigues. J’ai donc eu envie de me confronter à ces mythes.

Pourquoi Alain Berset?

Tout a débuté en 2015. Je rentrais d’une longue période passée à l’étranger et avais envie de me plonger dans un sujet suisse. J’avais photographié Alain Berset une ou deux fois dans le cadre du Festival international de films de Fribourg. Mais je ne le connaissais pas. Toutefois, je me suis dit, comme il est ministre de la Culture et Fribourgeois comme moi, qu’il serait davantage ouvert par rapport à ma démarche.

Comment se sont noués les contacts?

A la base, j’ai constitué un dossier que j’ai pu transmettre à Nicole Lamon, cheffe de la communication du Département fédéral de l’intérieur. Elle m’a alors auditionné. Dans un deuxième temps, j’ai rencontré Alain Berset, et il a autorisé la réalisation de mon projet. Il a ensuite fallu deux ans pour que tout se mette en place. Les prises de vues ont donc été faites en 2017. Il était alors en campagne pour la votation sur la Prévoyance vieillesse 2020.

Pendant combien de temps l’avez-vous suivi?

Les clichés ont été pris sur une période de six mois. En moyenne, j’ai passé deux à trois jours par semaine avec Alain Berset. J’ai pu le suivre de près, et il s’est réellement investi pour la réussite de ce projet. Il est même arrivé, dans la voiture ou durant une séance, que je m’asseye à sa place pour prendre la photo. Cela a parfois intrigué certains collaborateurs.

« J’avais sur la Berne fédérale les mêmes fantasmes que tout citoyen »

Nicolas Brodard

Vous avez dû signer une clause de confidentialité?

Il est clair que j’ai été témoin de réunions confidentielles. Mais, ce qui est assez fou, c’est que je n’ai eu à signer aucune forme de contrat. En fait, c’était tacite. Tout était basé sur la confiance mutuelle. J’ai donc bénéficié de la liberté la plus complète. Il n’y a eu aucune forme de censure non plus. Et Alain Berset a découvert le livre au moment de sa sortie, comme n’importe qui.

Comment s’organisaient les journées sur les traces du conseiller fédéral?

J’avais accès en début de semaine à son agenda. On m’a également mis à disposition un petit bureau qui se trouvait être vide à cette période au Département fédéral de l’intérieur. C’est vite devenu ma base. Je restais là, en attente. Comme ça, dès que des choses intéressantes se passaient, j’étais prêt.

Le paradoxe de votre livre, c’est qu’Alain Berset n’en est pas le héros…

C’est le but! Je voulais davantage traiter de la fonction de conseiller fédéral que d’Alain Berset lui-même. J’aime d’ailleurs cette pudeur du système politique suisse. Cela tranche avec le livre de Peter Klaunzer qui a photographié Alain Berset en 2018, durant son année présidentielle. Sa démarche est beaucoup plus américaine, considérant le président comme une star. Mais la cohabitation des deux travaux est comparativement intéressante.

Du coup apparaissent dans votre ouvrage des personnages de l’ombre comme Nicole Lamon ou le porte-parole Peter Lauener.

Oui, ils sont ses spin doctors. Ce sont des gens qu’Alain Berset consulte sur de nombreux sujets et qui l’accompagnent partout. Tous les matins, il tient une réunion avec sept ou huit personnes. Cela constitue son premier cercle. Ce sont des personnes dont il prend souvent l’avis. Il a des idées fortes mais sait aussi écouter. Au-delà, il y a un deuxième cercle constitué notamment des chefs d’offices fédéraux.

Une image détonne: celle où la bodybuildeuse valaisanne Fanny Clavien prend un selfie avec le conseiller fédéral. C’est la seule où ce dernier apparaît…

J’ai d’abord hésité à utiliser cette image. Mais, au final, elle résume tout le projet et donne certaines clés de lecture: Alain Berset est là et j’apparais moi-même sur le cliché. La photo est aussi symbolique de son époque avec cette pratique du selfie.

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