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Canton

Fribourg au temps des Bourbakis

Il y a 150 ans, le canton accueillait plus de 4000 soldats d’une armée française en détresse


 Thibaud Guisan

Thibaud Guisan

29 janvier 2021 à 16:36

Temps de lecture : 1 min

Histoire » Il y a 150 ans, Fribourg accueillait les Bourbakis. Ces soldats d’une armée française en détresse franchissent la frontière le 1er février 1871 aux Verrières (NE) et dans les environs pour se réfugier en Suisse et dans le canton de Fribourg. Historien auprès de la Croix-Rouge suisse, à Berne, Patrick Bondallaz revient sur un événement qui a imprégné l’imaginaire collectif.

Dans quel contexte les Bourbakis arrivent-ils en Suisse?

Patrick Bondallaz: Cet épisode constitue l’ultime péripétie de la guerre franco-allemande déclenchée en 1870. Une armée française de 87’800 hommes, commandée par le général Bourbaki, est vaincue près de Montbéliard. La Suisse accepte d’offrir l’asile à ces soldats qui meurent de froid et de faim. Pour la première fois dans l’histoire, une armée entière trouve refuge sur un territoire neutre. C’est une prouesse logistique et humanitaire pour la Suisse, qui accueille en quelques jours l’équivalent de 3% de sa population.

Combien de soldats séjournent dans le canton de Fribourg?

17’000

sodlats feront une halte à Fribourg, qui compte 11’000 habitants

Le Conseil fédéral décide de répartir les Bourbakis proportionnellement à la population des cantons et à leurs capacités financières. Le canton de Fribourg en reçoit un peu plus de 4200, mais 17’000 hommes feront une halte temporaire à Fribourg avant de poursuivre leur route vers d’autres régions du pays. Au plus fort de la crise, la ville de Fribourg accueille 5000 internés, alors qu’elle compte 11’000 habitants.

Comment s’organise l’accueil fribourgeois?

La ville de Fribourg a une capacité d’accueil de 2200 internés, répartis entre la Basse-Ville (caserne de la Planche et Werkhof), ainsi que le Collège Saint-Michel et son pensionnat. Le couvent d’Hauterive, qui abrite à l’époque l’école normale, accueille 850 soldats. Les chefs-lieux de district héritent aussi de contingents (280 hommes à Bulle, 240 à Morat, 230 à Romont, 200 à Estavayer-le-Lac et 100 à Châtel-Saint-Denis) et des solutions temporaires sont trouvées dans de nombreux villages. Les soldats sont logés dans des écoles, des auberges ou encore chez des particuliers. Après des débuts assez chaotiques avec beaucoup de confusion, la situation se stabilise à la mi-février.

Dans quel état de santé se présentent les Bourbakis?

La plupart des soldats se trouvent dans un piteux état. Un tiers des internés accueillis dans le canton arrivent avec des maladies, soit un peu plus de 1500 hommes. Ils seront 134 à décéder. Les trois-quarts de ces décès sont dus au typhus. Dans chaque lieu de stationnement, des établissements de soins sont créés. A Fribourg, un dispensaire principal est créé dans l’école des filles, sur la place Notre-Dame. Les malades du typhus sont traités à l’hospice de la Providence, en Basse-Ville, et les personnes atteintes par la variole sont prises en charge aux bains des Neigles. Le manque de personnel soignant se fait vite sentir. A Fribourg, un comité de dames de la haute société s’est constitué pour soigner ces malades. Les religieuses se sont aussi dévouées.

Quel est le quotidien des internés?

400

lettres sont envoyées chaque jour par les soldats

Les soldats sont placés sous une juridiction militaire, ils doivent donc obéir aux officiers suisses et doivent rester dans un périmètre délimité. Leurs journées sont rythmées par des promenades et des exercices en plein air. Cette oxygénation est aussi une forme de thérapie. Les internés ont ensuite la possibilité de travailler. Dans le canton, environ 600 Bourbakis obtiennent une autorisation. Ils sont occupés à des travaux dans les forêts, pour l’agriculture ou la construction de routes, ce qui leur permet d’augmenter leur solde. Les soldats passent aussi beaucoup de temps à correspondre avec leur famille. La Confédération a octroyé la gratuité des échanges postaux. Chaque jour, environ 400 lettres partent de Fribourg pour la France.

Quel accueil réserve la population à ces soldats?

Dans l’ensemble, les Bourbakis sont très bien accueillis, il y a un effet d’empathie assez fort. Dans les journaux de l’époque, les chroniqueurs insistent sur le sens de l’hospitalité à Fribourg, sur la générosité populaire. Des comités locaux de la Croix-Rouge suisse, créée en 1866, organisent des collectes d’argent, de vêtements ou de matériel pour les internés dans de nombreuses communes. Des notables se trouvent à la tête de ces comités de secours. Il existe une grande proximité entre les milieux politique, militaire et caritatif, ce qui facilite l’accueil des Bourbakis. L’organisation de la charité est en main du Comité cantonal de la Croix-Rouge, créé six mois plus tôt et dirigé par le président du Conseil d’Etat, Hubert Charles.

Des tensions contrastent-elles avec cette image de cohésion?

Quelques voix s’élèvent pour dénoncer la fermeture des écoles, réquisitionnées pour accueillir les internés. Des plaintes émanent aussi de certains bourgeois, contraints d’accueillir des soldats chez eux, parfois trop à leurs yeux. Mais, d’une manière générale, il est très difficile de trouver trace de remarques désobligeantes à l’égard des internés.

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