Les lumières s’éteignent à Nuithonie
Quatre premières devaient avoir lieu cette fin de semaine. Le Covid-19 en a décidé autrement
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Elisabeth Haas
6 novembre 2020 à 02:01
Théâtre » Elle est la seule à être passée entre les gouttes. La première de la pièce Le Traitement, dans la mise en scène de Julien Schmutz, a pu être donnée mercredi en début de soirée, à Nuithonie, juste avant que ne sonne le glas des fermetures. Des quatre créations fribourgeoises à l’affiche cette semaine, c’est la seule qui a pu avoir lieu en public, en petit comité, vu les restrictions déjà de mise.
La mezzo-soprano Marie-France Baechler n’a pas pu montrer son solo Ne m’appelez pas Marie, Philippe Wicht a dû renoncer, pour la seconde fois, à présenter Horror of Me dans le cadre du Plan BB du Festival du Belluard, et le Théâtre des Osses s’apprêtait pourtant à renouer avec son public dans les plus strictes conditions sanitaires avec les Lettres à nos aînés. Autant de pièces enthousiasmantes, abouties, que le public n’aura pas la chance de voir, en tout cas pas dans l’immédiat.
Le même jour, sur les ondes d’Espace 2, la metteuse en scène Anne Bisang, privée elle aussi de scène, rappelait avec force que le théâtre est essentiel à la vie, que le partage que permet le théâtre, les liens cultivés, les réflexions sur la société et le monde ne sont pas accessoires, mais fondamentales. Julien Schmutz l’a encore prouvé avec Le Traitement, une pièce signée Martin Crimp.
Un monde menaçant
C’est une histoire dérangeante, inquiétante. Une histoire qui plonge dans des abîmes insondables, qui nous met face à la difficulté de distinguer le vrai du faux, face aux compromis avec la réalité, face à l’impossible innocence, face au puissant pouvoir manipulateur des mots… Le Traitement, c’est un monde en déliquescence, violent, injuste, menaçant. A l’image du nôtre aujourd’hui. La pièce est contemporaine – elle date de 1993 – et son écriture, qui dépasse la traditionnelle intrigue théâtrale pour créer une suite de scènes quasi cinématographiques, a l’art salutaire de semer le doute. Les dialogues et les situations sont parfois surréels.
On ne peut rêver meilleur garde-fou contre la pensée unique et les idées toutes faites… Le contexte également joue sur des tentations très actuelles: l’apparence, la réussite, les clichés sur les prolos ou les bas-fonds. En même temps, toute une réflexion sur le rôle de l’auteur et de l’art rajoute de l’épaisseur à une pièce d’une densité fascinante. Julien Schmutz a réussi, à l’aide de panneaux et de projections, grâce surtout à sa formidable distribution, à tenir le rythme de plus de deux heures de spectacle.
Nouvelles dates
A l’heure où le rideau tombe sur les théâtres, on ne peut que souhaiter qu’une pièce aussi essentielle puisse être vue. Thierry Loup s’apprête d’ailleurs à trouver avec le metteur en scène une forme pour faire vivre le spectacle durant le (ou les?) mois de fermeture. Le directeur de Nuithonie assure en tout cas vouloir exploiter ce spectacle. De nouvelles dates de représentations devraient être trouvées les saisons prochaines.
Thierry Loup se montre aussi solidaire vis-à-vis de tous les créateurs fribourgeois qui devaient être accueillis prochainement à Nuithonie en résidence: «Les compagnies vont continuer à travailler et on va faire vivre les créations.» S’il peut contribuer à soutenir les compagnies en reprogrammant leur spectacle, il ne cache en revanche pas ses inquiétudes pour toute la «chaîne» d’emplois concernés par les arts vivants et touchés par les annulations, en particulier les techniciens indépendants.
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