Ennui (im)mortel, quand les secondes durent des heures
A l’heure de la stimulation à outrance et des injonctions à la productivité, quelle place accordent les jeunes générations à l’ennui?
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Yvan Pierri
14 août 2023 à 17:39
Société » Selon une étude de l’Office fédéral de la statistique, les étudiants des universités et des hautes écoles spécialisées consacraient avant la pandémie de Covid-19 respectivement 36,5 heures et 33,8 heures par semaine à leurs études. A cela, il faut ajouter le temps accordé aux travaux domestiques et aux jobs d’étudiants. Si on ajoute à cela les divertissements et la surstimulation provoquée par les médias numériques, il semble être devenu particulièrement difficile de s’ennuyer.
«Je ne supporte pas vraiment de ne rien faire», affirme Léa Chabaud, jeune Fribourgeoise détentrice d’un master en biologie, qui avoue ressentir très rarement l’ennui. Cindy Kazanjian, étudiante en psychologie à l’Université de Fribourg, elle, s’ennuie surtout pendant son temps libre: «Je suis une personne qui adore être dans le rythme quotidien des études, où on a toujours des choses à faire, des textes à lire et de la matière à réviser.»
Cindy, comme Léa, considère qu’éviter l’ennui est en général une bonne chose. «L’ennui m’amène un peu d’anxiété. J’ai tendance à ruminer, à penser trop.» Une sensation telle que l’ennui est hautement subjective et peut s’incarner différemment en fonction des individus. Si pour Cindy l’inactivité est synonyme d’ennui, Léa voit les choses autrement: «Après avoir fait du yoga dans ma chambre, il m’arrive souvent de rester par terre seule avec mes pensées, mais je ne m’ennuie pas.»
Attention zéro
La sensation d’ennui a plus de chances de surgir lors d’activités rébarbatives pour lesquelles le sujet a peu d’intérêt. «L’ennui est souvent un phénomène lié à l’attention. Si on ne fait rien du tout, on est libre avec ses émotions. Il y a, paradoxalement, moins de chances de s’ennuyer», explique le docteur Gregor Hasler, médecin en chef du Réseau fribourgeois de santé mentale et professeur de psychiatrie et de psychothérapie à l’Université de Fribourg. Le consensus scientifique lie la sensation d’ennui à un déficit de dopamine, molécule responsable de la motivation et de l’intérêt, et donc de l’attention.
Léa identifie une injonction générale à être active. «Ce n’est pas toujours bien vu de s’ennuyer et c’est pour ça que c’est désagréable.» Gregor Hasler voit d’un œil inquiet cette tendance à vouloir éviter l’ennui à tout prix: «On pense que l’ennui est vraiment important pour le développement psychologique.» Pour lui, l’ennui est une sensation qui engendre la motivation à être actif, en plus de créer les conditions propices à la réflexion. «L’industrie et la culture nous contraignent à jouer de plus en plus le rôle de consommateur, qui transmet peu de sens à la jeunesse.» Une position qui met beaucoup de jeunes dans une situation contradictoire d’intense stimulation et d’ennui général. La jeunesse contemporaine s’ennuie donc, mais pas forcément comme elle l’imagine…
J’ai testé pour vous!
Quand les secondes durent des heures
L’ennui, une sensation bien connue de tous mais pas si simple à décrire.
Tic-tac, tic-tac; on ne fait jamais attention à ce petit bruit, pourtant très habituel dans nos vies. Cependant, il est omniprésent quand on s’ennuie. Mais comment définir l’ennui? Selon le Larousse, l’ennui est un sentiment de lassitude morale. Pour ma part, je vois plutôt l’ennui comme une occasion de ne rien faire. Mais une question se pose, peut-on encore s’ennuyer dans le monde actuel? Je dirais que non. Dès qu’il faut attendre un peu, nous sommes les premiers à dégainer notre smartphone et lire quelques nouvelles, jouer à un jeu ou envoyer un texto. Et d’une certaine manière, agir de cette façon nous rend plus exigeants envers le temps qui passe, de manière à ce qu’il soit toujours rempli d’activités.
Donc, un premier problème se pose: comment s’ennuyer? Rien de plus facile, éteignez votre portable et installez-vous quelque part où il n’y a rien à faire. J’ai testé cette méthode en restant dans ma chambre, et j’ai pu constater plusieurs étapes de l’ennui. Il y a d’abord le moment où on apprécie de ne rien faire, posé dans un coin. Puis le moment où commence vraiment l’ennui. Ensuite, j’ai commencé à chercher quelque chose à faire. Et là, une chose étonnante s’est produite.
En effet, je ne suis pas quelqu’un de très organisé, mais dans mon ennui, j’ai commencé à tout ranger de fond en comble. Ma chambre, qui ressemblait à une boutique d’antiquaire, s’est transformée en bloc opératoire, le tout en un après-midi. La phase suivante, c’est une phase d’hyperattention. C’est là que l’on entend distinctement le tic-tac de sa montre à quartz.
S’il faut tirer une morale de cette histoire, c’est que l’ennui nous fait faire des choses que l’on n’apprécie pas forcément. Alors, s’il vous reste du rangement à faire, écartez votre portable un instant et ennuyez-vous. Effet garanti! Samuel Bongard
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