«Pas de policiers sans violences»
Pour le sociologue James Nolan, les violences policières continueront même en cas de condamnation des responsables de la mort de George Floyd. Les cops américains «se concentrent seulement sur le combat»
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Frédéric Autran
2 juin 2020 à 04:01
Etats-Unis » Professeur de sociologie à l’Université de Virginie-Occidentale, ex-policier et agent du FBI, James Nolan estime qu’aux Etats-Unis, la violence est intrinsèque aux pratiques policières. Alors que les émeutes ont continué ce week-end après la mort le 25 mai de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans étouffé à mort par un policier blanc, interview de ce spécialiste des violences policières.
Quel regard portez-vous sur les événements des derniers jours?
James Nolan: La situation n’est pas nouvelle. Depuis 2014, il y a eu une série d’incidents médiatisés similaires, quand des hommes afro-américains, non violents et sans arme ont été abattus par la police. La tentation est grande de dire qu’il s’agit de l’acte isolé d’un officier pourri, qu’il suffit d’arrêter et de mettre en prison. Mais le problème, c’est surtout la manière dont la police fonctionne aux Etats-Unis, c’est-à-dire essentiellement comme une force de maintien de l’ordre militarisée. Dans ce monde-là, il y a les héros et les méchants.
Les autorités politiques, au niveau local et national, ne semblent pas capables ou désireuses d’enrayer cette attitude…
Historiquement, les élites politiques ont toujours utilisé la police comme un moyen de maintenir le statu quo. Même sous Bill Clinton ou Barack Obama, avec Joe Biden en vice-président, ils ont continué à renforcer la présence policière dans les quartiers. Républicains comme démocrates restent persuadés que la fonction première de la police est d’arrêter ceux qui enfreignent la loi. Or les lois telles qu’elles existent – l’arsenal antidrogue ou la politique des broken windows (de tolérance zéro, qui consiste à sanctionner constamment les petits délits pour empêcher les crimes plus graves, ndlr) – ont forgé une culture dans laquelle tout le monde a l’air mauvais. Surtout dans les quartiers où vivent les minorités, où les policiers considèrent que tout Noir est un délinquant en puissance.
Cette logique est-elle renforcée par l’équipement militaire souvent distribué aux policiers?
Tout cela participe de la même chose. Si les policiers jouaient une autre partie, ils ne viendraient pas avec des blindés, armés jusqu’aux dents. Mais dans leurs têtes, même s’il y a de la police de proximité, le vrai truc de la police, c’est la guerre. Et l’affaire des guerriers n’est pas la paix. Ils se concentrent uniquement sur le combat, et sont salués pour leurs actes héroïques sur le champ de bataille. La doxa de la police veut que c’est en attrapant le plus grand nombre de délinquants que l’on sécurise un endroit. Le paradoxe, c’est que plus vous arrêtez de gens et moins le quartier est sûr, car la confiance est brisée et la relation avec la police aussi.
Dans le cas présent, Derek Chauvin a été accusé d’homicide involontaire et risque d’être inculpé, mais en général les policiers ne le sont presque jamais. Chauvin a fait l’objet d’une vingtaine de plaintes depuis le début de sa carrière. Pourquoi un tel niveau d’impunité?
Quand il y a des plaintes en interne, le processus donne une impression d’impartialité, mais la plupart des policiers s’en sortent sans perdre de plumes. Derek Chauvin était peut-être un policier agressif, mais c’est justement pour cela qu’il était perçu comme un bon flic. Ce qu’il faisait correspondait à l’état d’esprit de la police, qui ne cède jamais, et utilise la force brute. Les policiers sont formés ainsi. Malheureusement, le licenciement de ceux qui ont tué George Floyd ne fera rien pour empêcher que ce genre de situation ne se reproduise. Même s’ils sont condamnés à la peine de mort, la violence continuera.
Quel rôle le racisme tient-il dans cette guerre de la police?
C’est à la fois une cause et une conséquence de la structure sociale. La plupart des policiers ont vécu toute leur vie dans une société où les actions de police ciblent majoritairement des Noirs. Ce qui produit des préjugés tout en les renforçant. On le voit actuellement sur les réseaux sociaux, quand les policiers disent: «Nous avions raison. Les manifestants sont juste des pillards, ils ne protestent pas vraiment à cause de Floyd, mais parce que ce sont des délinquants cupides.»
Une solution consisterait à recruter plus d’agents issus des minorités. Mais des études ont montré que ça n’a rien réglé…
Quand vous devenez agent de police, vous devenez l’un des leurs, vous partagez leur état d’esprit. Vous jouez le même jeu pour gagner des points et faire carrière. Et vous finissez avec la même mentalité. Ces cinq dernières années, des policiers ont tué à travers le pays plus de 5000 personnes, pour la plupart des hommes non blancs et pas armés. Les policiers qui ont tiré sont eux-mêmes souvent des Afro-Américains.
© LIBERATION
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