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«La violence des images a joué un rôle»

La mort de George Floyd a suscité une vague d’indignation à l’envergure inhabituelle. Analyse


 Louis Rossier

Louis Rossier

9 juin 2020 à 04:01

Inégalités raciales » Les manifestations se poursuivent aux Etats-Unis deux semaines après la mort de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans décédé lors d’une violente intervention policière. Filmée par des passants et diffusée sur les réseaux sociaux, elle aura suscité une vague d’indignation internationale sans précédent.

Tandis que la ville de Houston se prépare à accueillir des milliers personnes pour l’enterrement de la victime, le sociologue Olivier Glassey, maître d’enseignement à l’Université de Lausanne (UNIL) et spécialiste du numérique, revient sur la mobilisation entraînée par cet événement tragique.

Comment analysez-vous cette mobilisation mondiale?

Olivier Glassey: Même si elle se distingue par la fulgurance de sa diffusion, elle fait écho à d’autres phénomènes. On a fait d’un cas spécifique un cas emblématique – comme avec le mouvement MeToo, également né aux Etats-Unis avant de s’étendre au monde entier. En participant à la mobilisation, les gens disent deux choses: premièrement, ils affirment leur solidarité envers les victimes; deuxièmement, ils adressent une critique à la société dans laquelle ils évoluent.

Comment expliquez-vous sa fulgurance?

La violence des images qui sont apparues sur les réseaux sociaux a certainement joué un rôle. Ce n’est pas seulement parce qu’il s’agit d’un Afro-Américain abattu par la police – de telles images sont nombreuses depuis la multiplication des caméras embarquées. Ce qui a frappé les esprits, c’est le type d’images: la durée de l’agonie, les paroles de la victime, la posture du policier, écrasant George Floyd en plaquant un genou contre sa nuque, et sa portée symbolique.

Que signifie le carré noir partagé sur les réseaux sociaux?

Lors de chaque vague d’indignation, la question se pose: comment montrer son soutien? L’enjeu est de rendre visible sur internet la foule qui partage une même réaction face à l’événement. Traditionnellement, les personnes ralliées derrière la même émotion seraient descendues dans la rue. Dans le monde numérique, ça pourra être via un hashtag. Le carré noir en est une variante visuelle. Sa sobriété est certainement à son avantage.

Il est plus aisé de se fendre d’un post sur Twitter que de participer à une manifestation.

Peut-être, mais il ne faut pas séparer totalement le réel du numérique, en particulier durant le confinement où pour beaucoup l’écran a agi comme une fenêtre sur la vie réelle. Le numérique sert de caisse de résonance à la réalité, et entre en dialectique avec celle-ci. On l’a constaté ici avec une mobilisation d’abord virtuelle sur les réseaux sociaux qui a été suivie par une occupation physique des villes.

Croyez-vous que le confinement ait eu une influence?

C’est peu probable qu’il n’ait pas joué de rôle. On se souvient des manifestations isolées qui réclamaient le droit de réoccuper l’espace public. Cette revendication a servi de lame de fond avant que les manifestants ne transitent du virtuel vers le réel. Les images des immenses marches du week-end dernier étaient d’autant plus frappantes qu’on avait pris l’habitude de voir des rues vidées par la pandémie.

Maintenant que le danger sanitaire est écarté, on entre dans une zone de turbulences économiques et sociales. L’avenir est plein d’incertitudes, c’est un temps de chamboulements et de remises en question. Or, la mort de George Floyd a été perçue comme un réveil dans le monde d’avant l’épidémie – avec son lot d’inégalités systémiques et sa justice à deux vitesses. Les gens n’en voulaient pas.

Le président Donald Trump a-t-il contribué à l’escalade?

Ses propos, dénués d’empathie, ont été plus que de l’huile sur le feu: c’était carrément un nouveau foyer. Il a tenté de jouer sur les fractures qui parcourent les Etats-Unis; il a utilisé les réseaux sociaux pour diviser, attisant les tensions et les incompréhensions. Une fois de plus, il s’est comporté comme le troll en chef, alors que certains espéraient que sa fonction lui inspire une attitude plus digne.

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