L’éolien est à la peine en Bavière, malgré la volonté politique
L’Allemagne veut développer les énergies renouvelables à marche forcée. Elle est loin du compte: exemple en Bavière
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Thomas Schnee, Berlin
31 octobre 2022 à 02:01
Allemagne » Jamais le ministre président bavarois Markus Söder ne s’était autant engagé pour les énergies renouvelables. «Notre objectif doit être de devenir indépendant plus rapidement», expliquait-il début octobre au sortir d’un Conseil des ministres de son gouvernement régional, spécialement consacré à réfléchir à la manière d’obtenir «un effet d’accélération plus fort pour toutes les énergies renouvelables».
Sur le site du Ministère de l’économie bavarois, le retour de l’éolien est à l’honneur: «L’énergie éolienne est de nouveau sur les rails en Bavière. Nous avons lancé les bons signaux et les investisseurs ont confiance dans le fait que les éoliennes en Bavière sont un investissement sûr pour l’avenir», assure le ministre Herbert Aiwanger. Il précise aussi qu’un récent accord sur le développement accéléré des réseaux électriques va enfin permettre de construire les infrastructures nécessaires à un approvisionnement stable de la deuxième région industrielle d’Allemagne.
«Nous sommes en retard»
En entendant ces annonces, Detlef Fischer, secrétaire général de la Fédération bavaroise des entreprises de l’énergie et de l’eau (BDEW), s’esclaffe: «Le marketing bavarois est formidable. En vérité, nous sommes très en retard. Sans la crise du gaz, nos dirigeants régionaux en seraient encore à présenter l’éolien sous un jour négatif, en expliquant qu’il transforme le pays en «champs d’asperges», déplore-t-il.
«Sans la crise du gaz, nos dirigeants régionaux en seraient encore à présenter l’éolien sous un jour négatif.»
Detlef Fischer
Certes, le sud du Land n’est pas le coin le plus venteux du pays. Mais le retard bavarois est patent. La région (18,5% du PIB allemand en 2021) compte 1134 éoliennes en service, pour une puissance installée d’environ 2,6 gigawatts (GW), soit l’équivalent de 3 petites centrales nucléaires. En comparaison, le petit Land voisin, la Saxe-Anhalt (1,9% du PIB), compte 2842 éoliennes (5,2 GW). Plus loin au nord-est, le Land de Brandebourg (2,2% du PIB) aligne même 3900 installations (7,8 GW)!
Pour le lobbyiste Detlef Fischer, le problème bavarois est fait maison: «La région s’est longtemps appuyée sur le gaz russe et sur quatre centrales nucléaires qui fournissaient 70% de son électricité». Mais le gaz bon marché s’est envolé et Isar 2, la dernière centrale encore en fonctionnement, s’arrêtera le 15 avril prochain: «Le gouvernement régional n’a pas su compenser à temps la fermeture des centrales. Pire, il a bloqué le développement de l’éolien et freiné celui des réseaux électriques qui doivent amener plus de courant vers le sud de l’Allemagne», précise Detlef Fischer. Une situation qui fait craindre un risque plus fort pour la Bavière de black-out électrique cet hiver.
La «fameuse» règle des 10 H, votée en 2014, est devenue le symbole de cette politique de blocage. Elle interdit d’installer une éolienne près d’une habitation si la distance qui les sépare est inférieure ou égale à dix fois la hauteur de l’éolienne. La taille de ces dernières étant désormais entre 200 m et 265 m, la distance minimum est donc de 2 km à 2,6 km. Seules quelques dérogations sont permises, en bordure d’autoroute ou dans une zone industrielle. Résultat, huit éoliennes ont été installées en 2021, et six autres jusqu’en septembre 2022.
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éoliennes ont été installées entre 2021 et 2022
«Cette règle n’existe que parce que le Parti chrétien-social (CSU) a eu peur, face à la montée de l’extrême droite, de perdre la sacro-sainte majorité absolue qu’il détenait depuis des décennies», explique Sören Schöbel-Rutschmann, architecte paysagiste enseignant à l’Université technique de Munich, spécialiste de l’aménagement des «paysages énergétiques». Le positionnement des dirigeants du Land encourage également les citoyens à résister devant les tribunaux.
A partir de 2014, le ministre-président de l’époque, Horst Seehofer, a décidé de ne fâcher personne, avec la règle des 10 H, mais aussi en retardant de plusieurs années l’installation de lignes à haute tension conçues pour amener plus de courant vert du nord vers le sud. Ces dernières, Südlink et Südostlink, n’entreront pas en service avant 2027, car la Bavière a exigé, pour un paquet de milliards d’euros de plus, qu’elles soient enterrées et non aériennes. Ce qui n’a pas empêché son successeur Markus Söder de perdre la majorité absolue en 2018 à cause de la forte progression des… écologistes.
Intel évite la Bavière
Que fait Markus Söder en attendant? Pas grand-chose. Confronté à de nouvelles élections dans un an, il n’a toujours pas retiré la règle des 10 H. Pourtant, s’il ne bouge pas, la toute nouvelle loi fédérale sur l’éolien terrestre (Windenergie-an-Land-Gesetz) le fera pour lui, à partir du 1er juin 2023. Pour accélérer le mouvement, celle-ci stipule en effet que les Länder vont devoir libérer jusqu’à 2% de leur surface pour les installations éoliennes d’ici à 2032. La Bavière en est actuellement à 0,7%.
Aujourd’hui, les conséquences de la politique bavaroise ne se lisent pas seulement sur la facture énergétique. Elles pourraient aussi influencer l’avenir économique de la région: «Les énergies renouvelables ont aussi été un argument central pour le choix d’Elon Musk d’installer sa Gigafactory chez nous», rappelle ainsi le ministre-président du Brandebourg Ditmar Woidke. Pour sa part, Intel, N° 2 mondial des semi-conducteurs, a fait le même choix et va installer sa nouvelle grande usine européenne de puces électroniques en Saxe-Anhalt et non en Bavière.
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