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Histoire vivante

Itinéraire d’un gardien passé à l’attaque

Histoire vivante • Ancien gardien de foot en Syrie, Abdel Basset Sarout est devenu un héros de la révolution à Homs, à 19 ans. L’armée à ses trousses, le chef rebelle a frôlé la mort à plusieurs reprises depuis. Mais il est encore bien vivant.


Thierry JAcolet

Thierry JAcolet

22 mai 2014 à 18:35

Il s’est fait un nom dans une cage, celle de l’équipe nationale syrienne de football. Mais c’est dans une prison à ciel ouvert qu’il s’est forgé sa légende. L’ancien gardien de but Abdel Basset Sarout est un chef de guerre respecté, voire adulé, par les opposants au président Bachar al-Assad. Comment un sportif en pleine ascension, pacifiste de surcroît, a-t-il pu basculer du jour au lendemain dans la lutte armée? Comme d’autres footballeurs (voir ci-dessous), il a tout largué pour prendre les armes.

Si l’on part du principe orwellien que «le sport, c’est la guerre, les fusils en moins», Abdel Basset Sarout n’a eu aucun mal à faire le saut, une kalachnikov à la main. «Il n’a pas décidé de devenir un meneur de la révolution», nuance au bout du fil Talal Derki, réalisateur du documentaire «Homs, chronique d’une révolte». Ce natif de Damas connaît bien le jeune leader pour l’avoir suivi à la trace pendant deux ans jusqu’en avril 2013. «Il n’a fait que réagir quand le Printemps arabe est arrivé en Syrie. Son charisme, son énergie et sa détermination ont fait le reste.»

Le footballeur Abdel Basset Sarout, un modéré sans idéologie, se découvre une âme de révolutionnaire en mars 2011, à l’âge de 19 ans. C’est l’époque «romantique» du mouvement de contestation syrien qui vient d’être lancé. Les manifestants protestent alors avec l’espoir de faire souffler un vent de liberté sur le pays, sans violence. Abdel Basset Sarout joue les chauffeurs de salle dès les premières manifestations et finit par garder le micro pour enflammer la foule qui grossit au fil des semaines.

Révélé par la Coupe d’Asie

Sur une scène improvisée ou porté sur des épaules, il harangue les gens, chante beaucoup et leur fait reprendre en chœur les chants, parfois improvisés. «Toutes les mères ont perdu leurs enfants, celui qui décime son peuple est un traître. Liberté, je me languis de toi» ou «Ecoute sniper, voici ma nuque et voici ma tête!». Ces hymnes à la résistance et ses discours patriotiques font mouche, inspirant les manifestants d’Homs.

«La population s’est tout de suite reconnue en lui», souligne le réalisateur. «Dès notre première rencontre, j’ai senti ce charisme chez lui. Même si c’est quelqu’un qui étonnamment préfère rester dans l’ombre. Il s’exprime bien, de manière simple et directe, sait raconter des histoires et est très ouvert aux autres. Cet homme au grand cœur est devenu un héros écouté et aimé de son peuple.»

Le rebelle va jusqu’à braver le régime à visage découvert. Pourquoi s’en priver quand on a la gueule de l’emploi, avec ce sourire de séducteur et ces boucles noires? «Il a été l’un des premiers Syriens à oser montrer son visage et dire son nom en public, devant la télévision», rappelle Talal Derki.

Sa tête est toutefois mise à prix et la Fédération syrienne de football le bannit à vie. Sa famille sunnite va aussi payer cash cette «insolence». Les services secrets liquident un de ses frères. Il en perdra quatre au total - il avait onze frères et sœurs -, ainsi que d’autres membres de sa famille durant les deux ans de siège militaire d’Homs. Et de nombreux autres homonymes bien malheureux vont aussi être victimes des représailles du régime.

Quand il apprend que le régime tue le peuple, Abdel Basset Sarout passe à l’attaque. Il a pour lui une popularité grandissante, son courage, sa jeunesse exaltée, et ses exploits dans les buts d’al-Karameh, le club local. Son fait de gloire? Il a été élu deuxième meilleur gardien de la Coupe d’Asie des moins de 16 ans en 2008. Celui qui rêvait de marcher dans les traces de ses idoles Iker Casillas ou Gianluigi Buffon bifurque et prend le chemin de la lutte armée. Juste après le massacre de 260 civils à Homs en février 2012.

«Il a compris que le seul moyen de résister était de se battre», observe Talal Derki. Pour déloger les rebelles, l’armée cadenasse Homs. Une ville fantôme. Finies les grandes manifestations. Mais le chef rebelle continue d’agir sur ses partisans tel un électrochoc. Même en béquilles, il monte sur scène. C’est que le rebelle a frôlé la mort à de nombreuses reprises. Il s’est pourtant toujours relevé.

Un peu survendu

Pas étonnant que Talal Derki se soit senti en sécurité à ses côtés, sur le front, quand les balles sifflaient à ses oreilles. «Il a un courage qui force le respect et qui rassure», confie le réalisateur. «Vous vous sentez protégé avec lui…» Un capitaine invincible. D’ailleurs Abdel Basset Sarout est toujours vivant. Même si ces derniers mois, il avait disparu des écrans radar. Son compte Facebook regorgeait d’appels et de messages d’espoir de ses admirateurs, de Syrie, d’Allemagne ou de Suisse.

Il faut dire que le chef de guerre est devenu une légende, notamment grâce au documentaire. Un phénomène un peu survendu, à entendre Fabrice Balanche, directeur du groupe de recherches et d’études à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, à Lyon. «Il était une idole à Homs. Même s’il n’a pas brillé par ses faits d’armes, il est resté un symbole. Ce sont toutefois les médias occidentaux qui l’ont plus mis en valeur que les médias arabes.»

Seuls signes de vie de ces derniers mois, quelques vidéos postées sur YouTube, qui le montraient en début d’année, chantant devant une poignée de manifestants ou s’adressant à la communauté internationale pour demander une intervention humanitaire pour sauver la population de la famine à Homs.

Il a finalement réapparu les traits tirés devant les médias le 7 mai dernier, lors de l’évacuation des insurgés de la Vieille-Ville de Homs. Une défaite négociée avec le régime qui a repris la ville. Il a pris le bus pour Dar al-Kabira, une enclave rebelle, à 20 km au nord d’Homs. Mais il a promis devant les médias qu’il reviendrait se battre à Homs. Un gardien de but ne s’éloigne jamais longtemps de sa cage. I

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La course folle du stade au djihad

D’autres footballeurs qu’Abdel Basset Sarout ont aussi raccroché leurs crampons pour prendre les armes. C’est le cas de Nizar Trabelsi, devenu une machine à tuer commandée par Ben Laden. Ce Tunisien menait pourtant une carrière prometteuse en Europe. Sélectionné en équipe nationale junior, il a ensuite joué au Standard de Liège en Belgique et à Fortuna Düsseldorf. Avant une descente aux enfers qui l’a conduit des boîtes de nuit cocaïnées en Allemagne au camp d’entraînement d’al-Qaïda en Afghanistan.

Endoctriné par des sergents recruteurs de l’islam radical, il rencontre plusieurs fois Ben Laden, un deuxième père pour lui. Trabelsi participe à la destruction des bouddhas géants de Bamiyan. Un échauffement avant la mission ultime: se faire exploser au volant d’une camionnette contre la base américaine de Kleine Brogel, dans le nord-est de la Belgique. L’attentat-suicide n’aura pas lieu. Arrêté par la police belge au lendemain du 11 septembre 2001, le kamikaze est condamné en 2003 à dix ans de prison. Il sera extradé en 2013 vers les Etats-Unis.

Burak Karan, 26 ans, n’a pas eu cette «chance». Cet international allemand junior est parti faire le djihad en Syrie et y a laissé sa vie en octobre 2013. Un raid aérien de l’armée d’Assad a stoppé net la course folle d’Abu Abdullah al-Turki, le nom de combat de cet Allemand d’origine turque bien parti pour faire carrière sur les pelouses de son pays. Il a suffi d’une vilaine blessure au genou pour l’écarter des terrains et le pousser dans les bras d’une organisation islamiste. Il vire de bord brusquement à l’âge de 20 ans, fréquente une mosquée et un groupe de salafistes. Le footballeur part en 2011 avec femme et enfants en Syrie pour s’engager dans la rébellion contre Bachar al-Assad. Un voyage sans retour. TJ

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Un gardien radicalisé

Abdel Basset Sarout s’est radicalisé ces derniers mois. Il s’est rapproché d’al-Nousra, branche syrienne d’al-Qaïda, avance Talal Derki. Certains milieux le désignent même comme responsable de l’assassinat d’un prêtre hollandais en avril dernier à Homs. Talal Derki n’y croit pas, il le connaît trop bien: «Il ne deviendra jamais un terroriste», assure le réalisateur qui a eu un dernier contact avec le chef de guerre il y a un mois et demi via Skype. Le rebelle a cependant des circonstances atténuantes. Lui et son groupe d’insurgés ont vécu comme des rats durant les deux ans de siège d’Homs. Abdel Basset Sarout a connu la famine. Il a été traqué par le régime, ce qui l’obligeait à changer très souvent de planque.

«Il est dans une logique de revanche maintenant», estime Talal Derki. «Il n’a plus rien à perdre. Le régime a détruit la ville et tué des civils, des membres de sa famille. Comment rester normal après cela? N’importe qui deviendrait fou.» Sans oublier la fatigue de la guérilla et la sensation d’être toujours plus isolé, abandonné par les Occidentaux. Il s’est senti encore plus seul le 8 janvier 2014, quand l’armée a décimé son groupe, faisant 40 morts. Quatre rebelles ont survécu, dont Sarout, une fois encore…

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