Je me sens une bonne mère quand... (2/4)
Anne-Sophie Subilia est l’autrice, entre autres, de Neiges intérieures. Son prochain ouvrage, L’Epouse, sortira cet été. Elle est la deuxième de quatre écrivaines à témoigner de sa façon d’être mère.
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Anne-Sophie Subilia/Aude May Lepasteur
5 mai 2022 à 16:07
Fête des mères
En hommage à toutes les façons d’être mère, quatres écrivaines réfléchissent et témoignent des moments où elles se sentent adéquates dans une société qui soumet les mamans à d’incessantes pressions.
Les minutes papillon
«Quand je laisse mon fils, qui va sur ses 16 mois, marcher dans la rue, je sais que notre retour à la maison n’est pas assuré. Sa curiosité nous entraîne dans d’imprévisibles scénarios et je m’y rends disponible si c’est le bon moment aussi pour moi. Il s’agira d’un voyage. Eh bien, soit. La marche a été une conquête. Qu’il en jouisse. De mon côté, je prends cela pour une chance, un moment de haute vie. Tout à son plaisir de marcher et d’explorer, Ulysse zigzague, s’interrompt, ramasse n’importe quoi, tout l’intéresse, le gravillon, le mégot, le pétale de magnolia, la chenille. Le pavé scellé lui résiste, de même que la borne incendie et les veines blanches du marbre, mais il grimpera sur une bordure, secouera une grille en fer, touchera le pneu d’une Vespa et, près du tilleul, ces herbes folles où vont tous les chiens. Un instant, visage ébloui, les yeux lointains, il se tient coi. On attend un peu. A ce moment-là, j’ai l’impression de partager son état d’esprit. Mon métier m’y aide. Il m’est naturel d’observer longtemps un détail, une scène, jusqu’à en être absorbée. Ulysse me tire de ma rêverie (je dois rester attentive, dit le grand livre de la maman). Je n’ai pas vu qu’il s’engageait déjà dans l’allée sinueuse d’un immeuble inconnu. Le voilà au parking. Il le traverse en courant, gravit le perron. Sous les boîtes aux lettres, tapant des pieds et des mains, il jubile. Je ne comprends pas toujours ses accès d’euphorie. C’est beau, cette énigme. Il me fait penser à un papillon. Cette phase grandiose et ce rapport au temps, perdus pour toujours, me sont en partie restitués grâce à lui. Je ne veux pas dénaturer la relation intime qu’il est en train de créer avec le monde et qui me semble être un trésor. C’est pourquoi je succombe facilement et me retrouve volontiers à ses côtés derrière un buisson, aux cloches de 18 heures, les pieds emmêlés dans les fougères, à regarder tomber des aiguilles de pin.
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