Médias » C’est un peu le New York Times suisse: fondée en 1780, celle qui s’appelait d’abord Zürcher Zeitung peut se targuer, toutes proportions gardées, d’une réputation aussi solide que celle du titre américain. Et d’un surnom semblable: «vieille tante» pour le quotidien suisse, «gray lady» pour le titre américain. Reportage à Zurich, dans les prestigieux murs de la Falkenstrasse 11, portant moult témoignages du patronage PLR mais où les responsables revendiquent leur indépendance.
«Pourquoi parle-t-on de «vieille tante»? Ottfried Jarren, professeur en sciences des médias à l’Université de Zurich, avance une hypothèse: «C’est la gouvernante qui donne des leçons et vérifie que l’on se tienne bien! Depuis toujours, la NZZ lève son index et somme ses lecteurs de louer l’économie de marché et de restreindre le poids de l’Etat.»
La réponse n’est pas qu’une boutade. Les statuts de la société anonyme, créée en 1868, exigent en effet que la Neue Zürcher Zeitung soit «publiée en tant qu’organe politiquement, économiquement et culturellement indépendant d’intérêts particuliers, de grande qualité et de philosophie libérale-radicale». Si le titre avait déjà vu le jour en 1780, c’est bel et bien la création de la SA, dans un contexte politique de conflit entre «libéraux» et «démocrates» zurichois, qui lui donnera sa philosophie.
«La transformation de la NZZ était un projet politique», écrit l’historien Thomas Maissen en avril 2018 dans une édition spéciale de la revue Geschichte, éditée par la NZZ. En décidant que les actionnaires ne peuvent pas posséder plus de dix voix, les fondateurs ont garanti «l’indépendance de la société et en particulier de la rédaction, en empêchant qu’un petit groupe de gros actionnaires ne détermine le cours du journal». De plus, depuis 1886, seules les personnes physiques peuvent acquérir des actions.
Peur de l’UDC?
Les statuts ont ainsi permis de résister à des tentatives de pression, notamment durant la Seconde Guerre, explique l’ancien président du conseil d’administration Conrad Meyer dans la même revue. Autre particularité des statuts: ils prescrivent d’être soit membre du Parti libéral-radical (PLR), soit de partager les valeurs libérales-démocratiques et de n’appartenir à aucun autre parti. En 2014, des actionnaires mécontents ont tenté, en vain, de supprimer ce point.
Pour les observateurs, le maintien de cette restriction a aussi été motivé par la volonté de faire barrage à certains membres de l’UDC. L’actuel président du conseil d’administration, le Neuchâtelois Etienne Jornod, a aussi été chahuté, dans les mêmes années, car Markus Somm, journaliste proche de Christoph Blocher, mais membre du PLR, figurait dans le dernier carré de candidats à la rédaction en chef.
Le «patronage» libéral-radical est en tout cas encore très visible à la Falkenstrasse 11: la salle du conseil d’administration est décorée des dix-sept portraits des anciens présidents, depuis le fondateur, Salomon Gessner (1730-1788), jusqu’à l’ancien président du PLR suisse Franz Steinegger, président par intérim (2012-2013).
Mais la rédaction revendique vigoureusement son indépendance. Michael Schoenenberger, chef de la rubrique Suisse, indique n’avoir jamais «reçu de coup de fil ou le moindre message du PLR. Nous commentons tout à fait librement et nous nous trouvons à équidistance de tous les partis.»
Invités extérieurs
Physiquement aussi, si l’on peut dire, la NZZ a beaucoup changé ces dernières années. L’image d’austérité qu’elle véhiculait ne colle plus vraiment à la réalité. Ainsi, la photographie est particulièrement soignée et souvent originale. Vidéos animées sur des sujets d’actualité, parfois au ton décalé, romans graphiques et suppléments branchés ont transformé le titre en profondeur.
Observateur attentif, Ottfried Jarren atteste à la «vieille tante» un rôle important dans le paysage médiatique germanophone. Mais il comprend aussi les personnes qui ont résilié leur abonnement. «Certaines attaques virulentes contre des universitaires ont choqué, note-t-il. Le ton n’était pas habituel. Et, en rubrique économique, les commentaires manquent parfois d’esprit critique, en tout cas vis-à-vis des banques.» Le professeur regrette aussi la multiplication des rubriques laissées à des invités et l’affaiblissement du réseau de correspondants. «Certaines semaines, note-t-il, il n’y a pas un seul article sur le Tessin.»
Critiquée ou louée, la NZZ suscite un écho constant. «Si je me base sur la quantité de réactions qui nous parviennent, je peux affirmer que notre influence est toujours forte», souligne Michael Schoenenberger. Un de ses récents éditoriaux, sur une Suisse «très contente d’elle-même et qui ne veut plus qu’une chose, conserver», lui vaut encore un abondant courrier.
Groupe NZZ
Propriétaires 2700 actionnaires.
Effectifs 800 personnes au total, dont 446 pour les médias NZZ.
Tirage 85 300 et 25 700 pour l’e-paper.
Lecteurs 253 000.
Résultats 428,2 millions de francs en 2017 (-3%), mais les recettes «basées sur les lecteurs» ont augmenté de 1%.
Joint-venture Depuis 2018, les titres régionaux de la NZZ et ceux d’AZ Medien forment le groupe CH Media.
«Notre indépendance est protégée»
Président du conseil d’administration du groupe NZZ depuis 2013, le Neuchâtelois Etienne Jornod briguera un nouveau mandat lors de l’assemblée générale du 6 avril.
La Neue Zürcher Zeitung est l’un des rares médias suisses ayant une présence forte à l’étranger. Pourquoi ce positionnement international est-il important?
Etienne Jornod: Nous voulons que les gens nous lisent et qu’ils soient d’accord de payer pour cela, même assez cher, ce qui est possible si le niveau qualitatif est très haut. Le marché suisse étant très petit, il nous faut aussi être présents dans le monde germanophone. Nous avons désormais plus de 10 000 abonnés en Allemagne, où notre profil libéral-bourgeois est inhabituel. Et nous sommes aussi connus pour avoir le plus grand réseau de correspondants des médias germanophones (40 dans le monde entier, ndlr). C’est notre grande fierté.
Et en Suisse, comment le groupe NZZ affronte-t-il le recul publicitaire?
La NZZ subit un recul moindre, de 4 à 5% alors que la baisse moyenne est de quelque 15%. Grâce à notre stratégie axée sur le rédactionnel de qualité et le marché premium, nous augmentons le nombre d’abonnés. Ce n’est pas encore gagné, mais nous sommes sur la bonne voie. Nous voulons imprimer un esprit entrepreneurial au journal et élargir le lectorat non seulement sur le plan géographique mais aussi aux femmes – encore très minoritaires – et aux jeunes.
D’autres groupes investissent dans des domaines n’ayant rien à voir avec le rédactionnel. Pourquoi pas la NZZ?
Nous ne voulons en aucun cas prendre le risque de devoir, un jour, sacrifier le rédactionnel. Or, lorsqu’une entreprise se diversifie, il arrive qu’elle finisse par sacrifier l’élément le plus faible. Le rédactionnel est notre core business et c’est là que nous investissons.
Le PLR veille-t-il toujours sur la Falkenstrasse 11?
Nous avons toujours été et resterons indépendants. Nos statuts sont formulés de façon à protéger cette indépendance. Il ne faut pas être membre du PLR pour être actionnaire, mais il faut reconnaître les valeurs libérales-démocratiques et ne pas être membre d’un autre parti.
Vous êtes le premier Romand à présider la NZZ. Etes-vous confronté à des clichés?
Avec Vifor Pharma, je préside un groupe qui vaut plus de 8 milliards de francs tandis que la NZZ pèse 200 millions. Mais neuf fois sur dix, c’est sur la NZZ que je suis interpellé. C’est une institution extrêmement respectée. AG
Radio: Ve: 13 h 30
TV: Mission vérité, le New York Times et Donald Trump
> voir « Le président Trump se sert de nous» (page Histoire vivante du vendredi 18 janvier 2019)
Di: 21 h Lu: 23 h 15