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Histoire vivante

La fortune méconnue d’Adolf Hitler

Art, immobilier, vente de Mein Kampf, royalties diverses, le Führer était riche. Mais mauvais payeur


 Pascal Fleury

Pascal Fleury

23 septembre 2016 à 07:00

Troisième Reich » «Je crois que je suis le seul homme d’Etat au monde à ne pas disposer d’un compte bancaire. Je n’ai aucune action dans des sociétés et ne retire aucun dividende.» Dans ses discours enflammés, Adolf Hitler ne manquait pas de soigner son image d’homme du peuple, modeste et désintéressé, dévoué corps et âme à la nation. Ce qui ne l’empêchait pas de parader devant la foule en limousine Mercedes-Benz avec chauffeur et secrétaires privés.

Le Führer avait bien connu une période moins faste, après son double échec aux examens d’entrée à l’Académie des beaux-arts, en 1907 et 1908 à Vienne. Il avait même vécu un temps dans un asile de nuit de la ville, «les habits crasseux et pouilleux», au point d’affirmer plus tard, dans Mein Kampf, avoir subi privations, détresse, faim et dénuement. Durant ses années de bohème, le jeune artiste avait tout de même pu bénéficier d’une rente d’orphelin, d’une part de l’héritage maternel et d’un prêt de sa tante, corrige l’historien britannique Ian Kershaw dans sa célèbre somme biographique, Hitler(1). «De quoi vivre confortablement – peut-être même l’équivalent du salaire d’un jeune enseignant – pendant au moins un an.»

Best-seller lucratif

Après la Première Guerre mondiale, son engagement à Munich comme propagandiste au sein du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) lui permet de gagner enfin un pécule régulier de 20 Marks-or par semaine. «Hitler pouvait gagner sa vie en faisant la seule chose en quoi il excellât: parler!», commente Ian Kershaw. L’agitateur de brasserie rallie les foules. Mais c’est son livre Mein Kampf, rédigé entre 1924 et 1926, qui va faire de lui un homme riche.

Les ventes démarrent lentement, mais augmentent fortement à la suite des succès électoraux du NSDAP, dépassant les 80 000 exemplaires en 1932. A la nomination d’Hitler à la Chancellerie du Reich, elles explosent: son éditeur en vend 1,5 million. Si bien que le Führer peut magnanimement se passer de son traitement de chancelier. A la mort du président Paul von Hindenburg, en 1934, il reviendra toutefois sur ce choix généreux, engrangeant les honoraires de la double fonction.

Mein Kampf s’impose comme la «bible» national-socialiste. Elle est offerte par l’Etat aux jeunes mariés et aux élèves terminant leur scolarité. Jusqu’à la fin du conflit mondial, plus de dix millions d’exemplaires sont écoulés dans le Reich, et des millions d’autres volumes vendus à l’étranger, où l’ouvrage est traduit en seize langues. Les royalties du best-seller sont estimées entre 1,5 et 2 millions de Reichsmarks par an. A titre de comparaison, la «voiture du peuple» Volkswagen que voulait lancer Hitler juste avant la guerre devait coûter moins de 1000 Reichsmarks. Pas étonnant alors qu’en 1939 déjà, un magazine politique américain(2) titre qu’Hitler est «millionnaire».

Image de marque

Habile propagandiste soucieux de son image, Hitler fait aussi le commerce de son portrait avec le concours de son photographe personnel, Heinrich Hoffmann, dont la maison d’édition occupe jusqu’à 300 collaborateurs. La distribution des albums de photos au service du NSDAP lui fait gagner des millions de Marks. L’émission de timbres à l’effigie du chancelier du Reich, présenté sous son meilleur profil, s’avère aussi très lucrative. Hitler touche plus de 50 millions de Marks de commission, selon l’historien allemand Frank Bajohr(3), responsable du centre d’études sur l’Holocauste à l’Institut d’histoire contemporaine de Munich.

Adolf Hitler bénéficie également de dons et contributions volontaires ou obligatoires. En 1933, il sollicite les grands industriels, introduisant l’Adolf-Hitler-Spende der deutschen Wirtschaft, un «don Adolf Hitler» destiné officiellement au NSDAP pour la «reconstruction nationale», mais de facto à la disposition personnelle du Führer.

«En principe, il s’agissait d’un demi-pourcent du montant total des salaires qui avaient été payés par chaque firme en 1932, en gros 30 millions de Reichsmarks par an», explique l’historien belgo-canadien Jacques R. Pauwels, dans une étude sur le commerce à l’époque nazie(4). Les banques et les grands propriétaires fonciers allemands doivent aussi apporter leur contribution. Jusqu’en 1945, ces dons se seraient montés globalement à 700 millions de Reichsmarks.

Immobilier et limousines

Pour le Führer, ces entrées financières sont d’autant plus intéressantes qu’il n’est pas soumis à l’impôt. En fait, il devait encore 400 000 Marks au fisc en 1935. Mais sa dette est effacée et, dès lors, il est exempté de toute taxe. La plupart des dignitaires du Reich bénéficient d’ailleurs aussi d’importants allégements fiscaux, rappelle l’historien Bajohr. Leurs déclarations fiscales sont gardées comme des secrets d’Etat.

Avec sa fortune, Hitler acquiert diverses propriétés, dont le grandiose Berghof près de Berchtesgaden dans les Alpes bavaroises. Il transforme le chalet à grands frais pour accueillir dignement les hauts responsables du Reich et certains chefs d’Etat. Mêlant sans scrupules ses fonds privés et les deniers de l’Etat, dans un système dominé par la corruption, il récompense aussi grassement ses architectes, et distribue de somptueux cadeaux aux nazis méritants. Il dispose à sa guise d’un train spécial, d’une armada de limousines et de trois aéroplanes.

Collection d’œuvres d’art

Passionné d’art, il acquiert aussi de nombreux tableaux, qu’il destine au «Führermuseum», cet immense musée d’art qu’il projette de construire à Linz. L’un de ses achats les plus fameux est L’Art de la peinture (1666) de Johannes Vermeer, acquis en 1940 pour 1,65 million de Reichsmarks. La toile a été retrouvée dans une mine de sel parmi des centaines de tableaux, dont de nombreuses œuvres volées. Les héritiers de son ancien propriétaire, le noble autrichien Jaromir Czernin, ont tenté de la récupérer. Mais la commission autrichienne sur la restitution des œuvres d’art volées par les nazis a rejeté leur recours, estimant que l’achat ne s’était pas fait sous la contrainte. L’œuvre, exposée au Musée d’art et d’histoire de Vienne, reste propriété de l’Etat autrichien.

Dans son testament de 1938, Adolf Hitler lègue à sa future épouse Eva Braun et à ses deux sœurs Angela et Paula de belles rentes de 12 000 Marks par an. Dans un nouveau testament privé qu’il rédige le 29 avril 1945 dans son bunker à Berlin – la veille de son suicide – il ajoute léguer «ce qu’il possède – pour autant que cela ait encore de la valeur – au parti». Ou, si le parti n’existe plus, à l’Etat. Il rappelle que sa collection d’art est destinée au futur musée de Linz.

Sa sœur Paula s’est longtemps battue pour recevoir sa part d’héritage. Elle a obtenu partiellement gain de cause en 1960, mais est décédée quatre mois plus tard. Les droits d’auteur de Mein Kampf sont revenus au Land de Bavière jusqu’en 2015. Le texte est tombé dans le domaine public le 1er janvier dernier.

1 Ian Kershaw, Hitler, Ed. Flammarion, 2008.

2 Ken Magazine, Adolf Hitler, millionnaire, 9 mars 1939.

3 Interview dans Telepolis, 7.7.2014, www.heise.de/tp.

4 J. R. Pauwels, Big business avec Hitler, Ed. Aden, 2013.

Documentaire TV: 
La Suisse, coffre-fort d’Hitler

Dim: 21h10 Ma: 00h10

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Aucun compte d’Hitler n’a été retrouvé en Suisse

Avant la guerre déjà, puis de façon récurrente, divers enquêteurs ont prétendu qu’Hitler avait placé de l’argent en Suisse. Citant des documents déclassifiés des services de renseignement américains (OSS), le journaliste d’investigation Adam LeBor précise même, en 1997 dans l’ouvrage Les banquiers secrets d’Hitler (Ed. du Rocher), qu’un compte privé avait été ouvert «à la filiale bernoise de l’Union de banques suisses». Et que ce compte était géré par un proche d’Hitler, Max Amann, directeur de la maison d’édition Eher-Verlag qui avait publié Mein Kampf. Le compte devait abriter une partie des royalties dégagées par le best-seller.

Ce compte privé d’Hitler est aussi évoqué par Jean Ziegler dans son ouvrage explosif La Suisse, l’or et les morts (Ed. du Seuil, 1997), où il dénonçait le blanchiment par la Suisse de l’or volé par les nazis. En 2014 encore, le documentaire britannique Hitler: La fortune cachée (RMC Découverte) a ravivé cette piste suisse, se basant sur des documents de l’OSS. Le compte bancaire aurait contenu des valeurs pour l’équivalent de 265 millions d’euros actuels.

Qu’en est-il vraiment de ce mythique compte d’Hitler? La Commission indépendante d’experts suisse – Seconde Guerre mondiale s’est penchée sur la question à l’époque de l’affaire des fonds en déshérence. Dans son rapport Camouflage, transfert, transit. La Suisse, plaque tournante des opérations occultes du régime nazi (CIE, vol. 9, Ed. Chronos, 2001), elle affirme ne pas avoir trouvé confirmation de l’existence de ce compte. Les experts ont pu identifier quelques rares comptes de subalternes nazis. Mais aucun compte en possession des grands dignitaires. «Si des comptes ont pu exister temporairement, il est clair que leurs détenteurs les ont fait disparaître bien avant la fin de la guerre», assure la Commission Bergier dans son Rapport final de 2002. Leurs propriétaires ne voulaient assurément pas prendre le risque d’un blocage des comptes, devenu effectif le 16 février 1945. PFY

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