Amérindiens » «Un bon Indien est un Indien mort!» La petite phrase assassine, que l’officier américain Philip Henry Sheridan, général dans l’Armée de l’Union lors de la guerre de Sécession, aurait prononcée en 1867, lors de la reddition du chef comanche Tosawi, a peut-être été déformée, mais trahit bien les énormes préjugés qui ont longtemps été entretenus contre les Amérindiens.
C’est le stéréotype de l’Indien d’Amérique, ce «sauvage» rejetant la «civilisation» lors de la conquête de l’Ouest, se méfiant des visages pâles comme de la chaude-pisse, poussant des cris de guerre en pratiquant la danse du scalp. C’est ce ténébreux Peau-Rouge coiffé de plumes, aussi combatif qu’insoumis, fier et rusé, rarement ami du Blanc, souvent cantonné au rôle d’éclaireur pour la cavalerie. Imposée par des centaines de westerns hollywoodiens, l’image a été revalorisée dans quelques films politiquement corrects, mais la caricature continue de coller à la peau des autochtones des 310 réserves des Etats-Unis et 2300 réserves canadiennes, éclipsant toujours largement la réalité historique et en particulier leur engagement au service de la nation.
Guerre d’Indépendance
«Les Indiens ont participé à la naissance même de l’Amérique», revendique l’écrivain David Treuer(1), professeur à l’Université de Californie du Sud, lui-même né dans la réserve de Leech Lake, dans le Minnesota. «Alliés de l’armée révolutionnaire pendant la guerre d’Indépendance (1775-1783), les Onneiouts – une tribu de la Confédération iroquoise, ndlr – ont nourri les troupes à Valley Force et les ont aidé à vaincre les Anglais dans l’Etat de New York», explique-t-il par exemple. Il souligne que la Confédération iroquoise fut «l’un des nombreux modèles dont s’est inspirée la Constitution américaine».
Au XVIIIe siècle, «les Indiens ont presque toujours constitué la majorité des combattants dans les expéditions militaires», observe pour sa part l’historien Bernard Lugan(2), spécialiste des guerres coloniales. Toutes les tribus n’étaient pas du même bord. Certaines étaient profrançaises dans le delta du Mississippi ou certains des Illinois. D’autres proanglaises, comme les Chicachas, les Renards et une partie des Iroquois. D’autres encore ont changé de bord au gré des circonstances, comme les Alibamons, les Chactas, forts de 5000 guerriers, ou les Cherokees, vivant dans le nord de l’actuel Etat de Géorgie.
Jusqu’à la guerre de la Conquête, en 1756, les Indiens pratiquaient des méthodes de guérilla: «Rapidité, surprise, massacre et supplice des prisonniers», note l’historien. Ensuite, l’Angleterre, qui disposait d’un corps de bataille huit fois plus important que celui de la France, a imposé des méthodes de guerre européennes, engageant les régiments métropolitains. Le marquis Louis-Joseph de Montcalm, lieutenant-général des armées en Nouvelle-France, dépeint ainsi la situation: «Un Canadien égale trois soldats de France dans la guerre de brousse, mais en bataille rangée, un soldat de France vaut bien plus que trois Canadiens.»
Lors de la guerre de Sécession, les Amérindiens se distinguent encore comme éclaireurs, brillant par leur rapidité et leur connaissance du terrain. La Première Guerre mondiale les pousse dans les tranchées. C’est que les Etats-Unis et le Canada – alors dominion de l’Empire britannique – ont besoin de beaucoup d’hommes. Qu’importe si les autochtones n’ont pas encore reçu la pleine citoyenneté, ils constituent un renfort précieux sur le champ de bataille.
Attirés par la solde et le goût de l’action, désireux aussi d’échapper à la vie des réserves, plus de 20 000 volontaires s’engagent dans les Corps expéditionnaires. Parmi eux, le jeune Joseph Standing Buffalo, petit-fils du grand chef sioux Sitting Bull, vainqueur de la bataille de Little Big Horn. Fermier célibataire et catholique, il est mortellement blessé en automne 1918 à la bataille du canal du Nord, durant les Cent jours du Canada. Il repose au cimetière anglais de la route de Bucquoy, à Ficheux, dans le Pas-de-Calais.
Vétérans traumatisés
Lors de la Seconde Guerre mondiale, les Amérindiens se montrent encore plus patriotes: près de 50 000 s’engagent sur tous les fronts alliés. Pour ces guerriers des vastes prairies, l’épreuve n’en reste pas moins terrible. Le vétéran Glen Douglas raconte: «L’ennemi était à 10 mètres mais m’a raté. J’étais pétrifié, alors le sergent m’a poussé. Quand l’Allemand a relevé la tête, j’ai tiré juste entre ses yeux. Son cerveau a explosé et son casque a giclé. Cette première fois m’a affecté. Après, ça a été plus facile.»(3) Douglas a combattu ensuite en Corée et au Vietnam, avant de s’engager auprès des Amérindiens victimes de stress post-traumatique.
«Les Indiens ont pris une part disproportionnée à toutes les guerres américaines, depuis la première jusqu’aux plus récentes, souligne le professeur Treuer. En juillet 2007, les derniers soldats du 2e bataillon interarmées sont rentrés chez eux dans le Minnesota après 22 mois de campagne en Irak. C’était la brigade de combat la plus déployée au cours de la guerre. Elle a aussi participé aux opérations en Afghanistan et en Bosnie.»
Ces dernières décennies, plusieurs présidents ont rendu hommage à ces héros méconnus, des institutions entretiennent leur mémoire, des monuments leur sont dédiés. Reste le mythe hollywoodien… plus fort que la réalité.
1 David Treuer, Indian Roads, Editions Albin Michel, 2014.
2 Bernard Lugan, Histoire militaire de la Louisiane française et des guerres indiennes (1682-1804), Balland, 2018.
3 The Spokesman-Review, 27 mai 2004.Histoire vivante
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La langue navajo utilisée comme code militaire
Pendant les deux guerres mondiales, plusieurs idiomes amérindiens ont été exploités comme langages codés.
On les surnomme les «code talkers». Dès la Grande Guerre, des Amérindiens engagés dans l’armée américaine ont été appelés à transmettre des messages tactiques codés dans leur langue maternelle, incompréhensible de l’ennemi. Les premières expériences ont été menées avec succès en 1918 par des Cherokees durant la seconde bataille de la Somme. Et lors de l’offensive Meuse-Argonne, le Corps expéditionnaire américain a fait appel à 14 Chactas de la 36e division d’infanterie pour coder les ordres de bataille, contribuant à la retraite allemande.
Durant la Seconde Guerre mondiale, c’est dans le Pacifique, dès 1942, que les codeurs amérindiens se sont distingués. Plus de 400 Navajos ont exploité leur langue tonale à la barbe des Japonais. Le code navajo utilisait un mot indien pour chaque lettre de l’alphabet ou faisait appel à des concepts. Un bombardier était nommé «oiseau enceint», Hitler, «homme blanc fou». La transmission d’un message se faisait en quelques secondes, contre de longues minutes avec les machines de l’époque. Des Meskwakis étaient aussi actifs en Afrique du Nord. Et des Comanches en France, lors du débarquement. Plus tard, les «code talkers» amérindiens ont été sollicités en Corée et au Vietnam. Plusieurs d’entre eux ont été décorés. PFY
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John Ford, l'homme qui inventa l'Amérique
John Ford, réalisateur le plus oscarisé de l’histoire du cinéma, a façonné la légende de l’Ouest américain. En donnant un visage aux déshérités de l’Amérique, des cowboys justiciers aux minorités persécutées, il a su révéler comme personne les grands clivages qui structurent la société américaine. Que reste-t-il aujourd’hui des grands combats idéologiques dont son cinéma était porteur?
Radio: Ve: 13 h 30
TV: John Ford, l’homme qui inventa l’Amérique Di: 21 h