Nazisme » Durant la Seconde Guerre mondiale, le Reich a eu massivement recours aux drogues pour stimuler ses troupes et diminuer la fatigue des soldats. Le Führer lui-même était dopé par son médecin personnel et accro à tout un cocktail de médicaments. Le journaliste allemand Norman Ohler évoque cette zone d’ombre de l’histoire du Troisième Reich dans son ouvrage L’extase totale*.
L’image d’Adolf Hitler a fait l’objet d’une propagande incessante de la part des organes du Parti national-socialiste (NSDAP). Sous la République de Weimar, Hitler se voyait déjà attribuer la figure d’un chef inébranlable dévouant son existence au peuple allemand. Mais l’idéalisation de l’image de Hitler ne s’est pas arrêtée à cela. La propagande nazie s’est en effet chargée de donner une image épurée du mode de vie du Führer. Renonçant à toutes formes de plaisirs terrestres, ce dernier ne buvait pas, ne fumait pas et ne fréquentait pas les femmes. Si ce mythe s’ancre dans l’opinion publique allemande de l’époque, la réalité était cependant bien différente, ainsi que le révèle le parcours du médecin personnel d’Adolf Hitler, le docteur Theodor Morell.
Le «Patient A»
Pionnier dans le domaine des vitamines, Theodor Morell fidélise sa clientèle berlinoise à coups d’injections. Inoculés directement dans le sang, ses compléments vitaminés sont alors d’une efficacité redoutable face aux carences. Spécialiste du traitement dernier cri, le cabinet du docteur Morell attire bon nombre de célébrités et intéresse bientôt les plus hautes sphères du Troisième Reich.
C’est ainsi qu’en 1936, Morell se trouve au chevet de Heinrich Hoffmann, «reporter photographique du Reich pour le NSDAP» et proche d’Adolf Hitler. Reconnaissant de l’efficacité avec laquelle le soigne Morell, le photographe le présente à un Führer souffrant de troubles gastriques sévères. Le médecin diagnostique un dérangement de la flore bactérienne à son prestigieux patient. Il lui recommande la prise de Mutaflor, des bactéries encapsulées permettant d’éradiquer les troubles gastriques. Le traitement est un succès et Hitler ne tarde pas à faire du docteur Morell son médecin personnel.
Permettant ce que Norman Ohler décrit comme un «illico-rétablissement», les solutions multivitaminées du docteur Morell deviennent rapidement indispensables au Führer. Dès 1937, les injections se multiplient. Le sucre fournit à Hitler des regains d’énergie bienvenus, alors que les vitamines lui évitent toute défaillance physique. Theodor Morell ne quitte dorénavant plus le Führer, qu’il surnomme le «Patient A» dans ses ordonnances.
Stéroïdes et cocaïne
Les problèmes de santé d’Adolf Hitler poussent le docteur Morell à adopter des solutions toujours plus radicales. En 1941, une crise de dysenterie empêche le Führer de prendre part à une réunion d’état-major. Le cocktail de vitamines et de glucose ne fait plus effet, Morell se résout donc à adapter le traitement en variant sans cesse sa composition. Plus de 80 préparations à base d’hormones, de stéroïdes et de psychotropes font alors plonger le Führer dans la polytoxicomanie.
En 1943, alors que la Wehrmacht cumule les échecs militaires, la santé du Führer se détériore à vue d’œil. Theodor Morell cherche à modifier son traitement lorsqu’une nouvelle attaque de dysenterie frappe Hitler. Morell lui injecte deux doses d’Eucodal (ou oxycodone), un analgésique dérivé de l’opium. Sous l’effet du stupéfiant, le Führer retrouve toute sa verve, au grand désarroi du Duce Benito Mussolini avec qui il s’entretient au lendemain de sa crise.
Si les discours d’Adolf Hitler retrouvent leur puissance de persuasion grâce à l’Eucodal, le «Patient A» perd peu à peu contact avec la réalité. La tentative d’assassinat dont il est victime le 20 juillet 1944 ne paraît ainsi pas l’atteindre. L’intervention rapide du docteur Morell, à grand renfort d’injections, lui permet de faire illusion dans les heures suivant l’attentat. Pourtant, la bombe lui a perforé les tympans, ce qui nécessite le recours à un spécialiste, le docteur Erwin Giesing. Ce dernier initie le Führer à la cocaïne, alors utilisée comme anesthésiant sous la forme de prises nasales et buccales. Son effet psychotrope soulage les migraines d’Hitler et lui permet d’avoir les idées claires. Avec la complicité de Giesing, il en poursuit l’absorption au-delà de la période de traitement et frise l’overdose en octobre 1944.
Un brouillard permanent
Dans les derniers mois de la guerre, le Führer balance entre euphorie et volupté. L’effet sédatif de l’Eucodal compense l’excitation provoquée par la cocaïne dans un cocktail que l’on qualifie aujourd’hui de speedball. La dépendance de Hitler aux stupéfiants le conforte dans ses décisions, quelles qu’en soient les conséquences. Il est ainsi convaincu de la victoire finale, alors que le Reich est en plein effondrement. Les drogues ne font que renforcer la rigidité idéologique du Führer. Elles lui permettent de suivre jusqu’au bout «la logique d’un système qui s’est toujours fondé sur l’ivresse et le déni de réalité», précise Norman Ohler.
Alors que les troupes alliées se rapprochent de Berlin, le docteur Morell peine à se ravitailler en stupéfiants. Hitler présente des symptômes de manque évident et finit par congédier son médecin personnel en avril 1945. Peu après le suicide du Führer, Morell est incarcéré à la prison américaine de Bad Reichenhall. Les enquêteurs ne tirent rien d’un homme qui se perd en contradictions et sombre dans la dépression. Libéré au printemps 1947, Theodor Morell meurt à l’hospice de Tegernsee le 26 mai 1948.
*Norman Ohler, L’extase totale,
La Découverte, 2016.
La Pervitine, une drogue au service des nazis
L’Allemagne a dominé les marchés mondiaux de morphine, d’héroïne et de cocaïne. Elle a également développé un psychotrope qui a permis aux soldats de tenir au début de la guerre le rythme de la «guerre éclair».
Au tournant du XXe siècle, l’Allemagne s’impose en tant qu’usine pharmaceutique mondiale. Développant un savoir-faire qui lui est propre, la République de Weimar domine bientôt les marchés mondiaux de la morphine, de l’héroïne et de la cocaïne. La vente légale de ces substances au sein d’une population marquée par la défaite de 1918 fait des ravages. Une propension aux plaisirs faciles et à la débauche émerge non sans provoquer de vives réactions aussi bien chez les communistes que chez les nazis. Et si la consommation de cocaïne et de morphine souffrira de la politique antidrogue du Parti national-socialiste, un stimulant artificiel ne tardera pas à remplacer ces substances.
A l’automne 1937, les usines pharmaceutiques Temmler déposent le brevet de la première méthylamphétamine allemande: la Pervitine. A son lancement, ce psychotrope est présenté comme un remède universel. Parmi les bienfaits multiples que procure la Pervitine figurent notamment des effets tonifiant et euphorisant, une concentration accrue ainsi qu’une augmentation de la vigueur sexuelle. La consommation de Pervitine se généralise rapidement pour toucher toutes les couches sociales de la population allemande. Cette nouvelle drogue fonctionne de concert avec la dictature nazie et constitue ce que Norman Ohler qualifie de «national-socialisme en gélules».
Sur le front, la Pervitine permet aux soldats de tenir le rythme infernal de la «guerre éclair». Les succès s’empilent, des dizaines de kilomètres sont avalés chaque jour et un sentiment d’invincibilité voit le jour au sein des troupes. Mais lorsque la Wehrmacht s’embourbe sur le front de l’Est à l’hiver 1941, le stimulant doit remplir une tout autre fonction. Il s’agit dorénavant de donner les forces nécessaires aux soldats allemands pour survivre. Une page décisive de l’histoire du Troisième Reich vient de se tourner. La Pervitine, dont 740 millions de doses seront distribuées durant la guerre, ne pourra bientôt plus rien pour son armée et sa population. GR
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