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Histoire vivante

Une histoire de la maîtrise du temps

Notre calendrier grégorien est le fruit d’un long processus. Les premiers grands débats ont eu lieu à Bâle!

L’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg, construite entre 1547 et 1574, avec calendrier perpétuel indiquant les fêtes mobiles.

Pascal Fleury

Pascal Fleury

30 décembre 2016 à 05:00

Le pape Grégoire XIII se fait expliquer son calendrier «grégorien».
La réforme sera mise en application le vendredi 15 octobre 1582.
Le pape Grégoire XIII se fait expliquer son calendrier «grégorien».
La réforme sera mise en application le vendredi 15 octobre 1582.

Nouvel-An » La ville de Bâle est connue pour son Salon mondial de l’horlogerie Baselworld. On sait moins que la cité rhénane a abrité, au XVe siècle, une manifestation plus importante encore dans l’histoire de la maîtrise du temps: le concile œcuménique de Bâle.

Au cours de cette grande assemblée ecclésiastique, qui s’est étendue entre 1431 et 1449 dans un climat de graves luttes intestines de l’Eglise, de nombreux évêques et clercs se sont penchés longuement sur plusieurs projets de réforme du calendrier julien, devenu impraticable.

«Au fil des siècles, l’équinoxe de printemps, censé survenir chaque 21 mars, arrivait en fait de plus en plus tôt dans l’année. Et les nouvelles lunes, fixées dans le calendrier selon un cycle de 19 ans, se produisaient avec plusieurs jours d’avance», explique l’historien Olivier de Solan, qui vient de publier une très riche étude sur le sujet1.

Fixation de Pâques

Cette dérive séculaire du calendrier de Jules César inquiétait Rome depuis longtemps. Car elle influait sur la date de Pâques, cette fête centrale du calendrier chrétien déterminant les fêtes mobiles, comme l’Ascension ou la Pentecôte. Pâques est fêté le dimanche qui suit la pleine lune après l’équinoxe de printemps.

«Si le calendrier était resté inchangé, Pâques aurait fini par tomber en plein hiver, ce qui aurait été symboliquement gênant. Placé au début du printemps, Pâques, fête de la Résurrection, symbolise en effet le renouveau de la vie, en harmonie avec la croissance des végétaux», nous précise le chercheur. Il ajoute qu’à la même époque, le calendrier juif était «très exact astronomiquement, d’où un complexe des clercs chrétiens».

Des propositions de réformes avaient déjà été émises durant la première moitié du XIVe siècle. Elles reviennent en force dès les conciles de Rome (1412-13) et de Constance (1414-18), en particulier à l’initiative de l’évêque de Cambrai Pierre d’Ailly. Sensibilisant les acteurs institutionnels aux défauts du calendrier et à ses néfastes conséquences, il pousse les évêques à l’action. Mais le scandale de l’antipape Jean XXIII, chassé du concile en 1415, va bloquer une première fois les débats.

Projets porteurs à Bâle

Le problème est remis sur la table lors du concile de Bâle, qui s’ouvre en 1431. «C’est dans ce rassemblement de l’intelligence et du pouvoir que, plus que jamais auparavant, une réforme a été en passe de voir le jour», note Olivier de Solan.

Une commission de réforme est constituée. Les traités du théologien Nicolas de Cues et du computiste Herman Zoest font référence. Deux projets particulièrement aboutis sont débattus.

L’un prévoit de supprimer 9 jours du calendrier en 1436 et d’enlever un jour bissextil tous les 136 ans pour retrouver l’équinoxe de printemps le 21 mars. L’autre prône la suppression de 7 jours du calendrier en 1437 et la suppression d’un jour bissextil tous les 300 ans. «Cette solution, quoique moins bonne du point de vue astronomique, avait été jugée séduisante à l’époque car elle permettait de ne pas modifier les livres de comput et les calendriers permanents», explique l’archiviste.

Blocage politique

Ces deux projets n’aboutissent toutefois pas, pour des raisons scientifiques, religieuses et politiques. En fait, les astronomes de l’époque étaient encore incertains concernant la durée de l’année solaire. Et certains clercs considéraient le calendrier comme une institution sacrée impossible à modifier.

Surtout, la question du calendrier risquait d’envenimer le conflit entre les Eglises d’Orient et d’Occident. Le fait que le pape ait voulu déplacer le concile de Bâle à Ferrare pour le reprendre en main, et que seule une partie des évêques débattaient à Bâle, a aussi coulé la réforme.

Finalement, ce n’est qu’un siècle et demi plus tard, en 1582, que le calendrier grégorien entre en fonction. «La bulle papale ne s’inspire pas explicitement de Bâle. Mais certains aspects de la réforme ressemblent aux projets discutés au concile», observe Olivier de Solan. Pour lui, le contexte du XVIe siècle a été déterminant: le pape avait l’autorité, l’astronomie avait progressé et l’imprimerie permettait la diffusion d’un nouveau calendrier. Depuis lors, le calendrier grégorien est devenu civil. Et résiste au temps!

1 Olivier de Solan, La réforme du calendrier aux conciles de Constance 
et de Bâle, CNRS Editions, Paris, 2016.

* * *

Des mots issus de l’Antiquité

Calendrier Le mot provient de calendarium, le «registre des dettes» que les Romains ouvraient aux «calendes», le 1er jour de chaque mois.

Bissextile Les années à 366 jours rappellent le jour ajouté par César après le 24 février au calendrier julien. Ce 6e jour avant les calendes de mars était doublé: bis sexto. D’où bissextile.

Septembre Avant la réforme de César, l’année débutait en mars. Septembre était le 7e mois. Idem jusqu’à décembre. PFY

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Notre ère chrétienne n’a été inventée qu’au huitième siècle

Les réformes ou corrections de calendriers ne se sont pas faites qu’en fonction de calculs astronomiques. Elles ont souvent découlé de décisions purement religieuses ou… politiques!

L’anecdote en dit long sur le poids de la politique dans l’établissement des calendriers. Lorsque le 1er janvier 45 avant J.-C., Jules César introduit son comput «julien», mis au point par l’astronome Sosigène d’Alexandrie pour réaligner l’année romaine à l’année solaire, le Sénat de Rome le remercie en renommant l’ancien 5e mois quintilis en mois julius, qui a donné notre juillet.

Son successeur Auguste, qui réajuste le calendrier, obtient que le mois suivant (sextilis) porte également son nom, augustus, notre mois d’août. Or ce mois comptait 30 jours, contre 31 pour juillet. Pour mettre les empereurs sur un pied d’égalité, on ajoute alors un 31e jour au mois d’août au détriment de février!

Les années romaines étaient fixées en référence à la date légendaire de la fondation de Rome. L’empire romain, devenu chrétien, a conservé longtemps cette tradition. En 532 de notre ère, le moine d’origine scythe Denys le Petit, qui travaillait sur le calcul de la date de Pâques, situe la naissance du Christ en 753 après la fondation de Rome. Ce n’est cependant qu’avec le moine anglo-saxon Bède le Vénérable, au VIIIe siècle, que l’on se met vraiment à dater les actes en fonction de «l’an de l’incarnation de notre Seigneur». Une façon de christianiser le temps.

Le calendrier julien n’a été réformé que le 15 octobre 1582 par le pape Grégoire XIII, rattrapant en une nuit dix jours de retards accumulés au cours des siècles afin de ramener à seulement quelques secondes l’écart avec l’année solaire.

Depuis lors, des réajustements sont réalisés régulièrement. Et toujours plus finement. Ainsi, dimanche à minuit, nous aurons droit à une seconde intercalaire avant d’entrer dans la 2017e année de l’ère chrétienne. Ce qui ne va rien changer au pétillant du champagne! PFY

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