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Histoire vivante

Un siècle au service des travailleurs

L’Organisation internationale du travail fête ses 100 ans. Retour sur son histoire, ses combats et ses défis

Filature employant des femmes et des enfants dans l’Etat du Mississippi, vers 1910-20.

 Mario Togni

Mario Togni

7 juin 2019 à 04:01

Justice sociale » Voilà un siècle que l’Organisation internationale du travail (OIT) œuvre à l’amélioration de la condition des travailleurs. Créée en 1919, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’institution basée à Genève fête son grand jubilé dans un monde du travail transformé, mais toujours en quête de justice sociale. Cet anniversaire sera célébré à l’occasion d’une «Session du centenaire», dès lundi prochain et jusqu’au 21 juin au Palais des Nations et au siège de l’OIT, en présence de délégations des 187 Etats membres.

Comme la Société des Nations, l’OIT trouve son origine dans le Traité de Versailles de 1919, qui règle la fin du conflit mondial. «La paix universelle ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale», indique le préambule de la Partie XIII du traité de paix, véritable constitution de l’organisation. Ses objectifs initiaux restent d’une criante actualité: limiter la durée de la journée et de la semaine de travail, lutter contre le chômage, garantir des conditions d’existence convenables, protéger la santé des travailleurs, assurer des pensions de vieillesse et d’invalidité, défendre la liberté syndicale…

La guerre sert d’élément déclencheur, mais l’émergence de la «question sociale» à la fin du XIXe siècle a préparé le terrain. L’institution se construit toutefois en opposition aux mouvements révolutionnaires. «Sa création est une réponse aux revendications formulées par les organisations syndicales réformistes (…), écrit l’historienne Sandrine Kott, de l’Université de Genève. En promouvant l’internationalisation des réformes sociales propres à aménager les sociétés capitalistes, elle offre par ailleurs un contre-modèle à la révolution bolchevique.» 1

La structure de l’OIT repose sur deux piliers: la Conférence internationale du travail (CIT), son «parlement»; et le Conseil d’administration, son instance exécutive, dont le Bureau international du travail (BIT) est le secrétariat permanent. Avec une particularité notoire: les instances de l’OIT sont tripartites, réunissant de manière équitable des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs.

Premier et emblématique directeur du BIT, le Français Albert Thomas incarne bien cette voie inédite. Militant syndicaliste et socialiste réformiste puis ministre de l’Armement, il se trouve à la croisée des milieux patronaux et syndicaux. Il impulse une forte dynamique à l’institution, faisant adopter en deux ans 16 conventions internationales et 18 recommandations, au point que certains Etats n’arrivent pas à suivre. Le nombre de ratifications est à la peine.

En 1926, l’OIT crée une commission d’experts, toujours active aujourd’hui, chargée de vérifier l’application des conventions. Epineuse question, la mise en œuvre des normes adoptées tout comme une certaine lenteur bureaucratique resteront un éternel objet de reproches à l’encontre de l’organisation.

Le Britannique Harold Butler, son adjoint, lui succède dans un monde frappé par la Grande Dépression. L’adhésion des Etats-Unis en 1934 compte parmi ses succès. Souvent taxée d’européocentrisme, l’institution s’engage dans l’assistance technique auprès des pays en développement.

En mai 1944, ses 41 Etats membres signent la Déclaration de Philadelphie. On y trouve ses principes fondamentaux tels que «le travail n’est pas une marchandise» ou «tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales».

En 1946, l’OIT intègre la galaxie nouvellement créée des Nations Unies, devenant sa première agence spécialisée. La période qui s’ouvre sera celle d’un développement massif et d’un chemin difficile vers l’universalité. Directeur général du BIT de 1948 à 1970, l’Américain David Morse accompagne ce changement d’échelle. Sous son règne, le nombre de membres de l’OIT passe de 52 à 121 et celui d’employés quintuple pour atteindre plusieurs milliers. Dans le même temps, le budget annuel de l’organisation passe de 4 à 60 milliards de dollars. La décolonisation amène beaucoup de nouveaux membres. L’organisation élargit son activité aux politiques de développement. L’ambitieux Programme mondial de l’emploi, lancé en 1969, s’inscrit dans cette logique. Cette même année, alors que l’institution fête ses 50 ans, elle est couronnée par le Prix Nobel de la paix.

Défi de la mondialisation

A la fin des années 1970, les entreprises multinationales, à la mainmise grandissante, échappent en bonne partie aux conventions internationales. Le changement est aussi idéologique. «L’essor du néolibéralisme et la chute du communisme fragilisent la légitimité même de l’OIT, écrit le chercheur Cédric Leterme 2.

Face au défi de la mondialisation, l’institution tente de se réformer en consolidant son arsenal normatif. Sa première réaction prend la forme d’une Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998), soit un socle minimal à respecter par tous les membres. La seconde réponse vient avec l’Agenda du «travail décent», lancé en 1999, qui vise à recadrer la mission historique de l’OIT. Le concept ne fait pas l’unanimité, mais le «travail décent» intègre finalement les 17 objectifs de développement durable de l’ONU.

A l’heure de célébrer son centenaire, l’OIT poursuit son travail sans sourciller, sous la direction du Britannique Guy Ryder. En janvier, elle publiait un imposant rapport sur «l’avenir du travail». Son objectif ambitieux résonne parfaitement avec la mission originelle de l’institution: «Parvenir à la justice sociale au XXIe siècle.» Si du chemin a été parcouru, la route est encore longue.

1 Sandrine Kott, Un modèle international de protection sociale est-il possible?, Revue d’histoire de la protection sociale, 2017.

2 Cédric Leterme, L’Organisation internationale du travail, Courrier hebdomadaire du CRISP, 2016.

Retrouvez l’intégralité de cet article sur: www.evenement.ch

Voir l’historique multimédia de l’OIT: www.ilo.org/100/fr/story/tripartism

Radio: Les esclaves Ve: 13 h 30 TV: Pas de documentaire«Histoire vivante» ce dimanche.

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