Une initiative pour relancer l’atome
Les pro-nucléaire sortent du bois avec un texte en faveur de nouvelles centrales. La droite est divisée
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Tania Buri
29 août 2022 à 04:01
Energie » Le débat sur le nucléaire est de retour en Suisse. Un comité d’élus de droite et de représentants de l’économie lance une initiative populaire pour permettre à nouveau la construction de centrales. Les réactions des opposants ont fusé de toutes parts hier.
Le texte de l’initiative sera publié mardi dans la Feuille fédérale officielle, a indiqué à l’ATS Vanessa Meury, des Jeunes UDC et présidente du Club énergie Suisse, à l’origine du texte. Elle revenait sur une information du Matin Dimanche.
Intitulé «De l’électricité pour tous en tout temps. Stop au black-out», le texte veut inscrire dans la Constitution que «toute forme de production d’électricité respectueuse du climat est autorisée». Car depuis le scrutin de 2017, la loi interdit la construction de toutes nouvelles centrales nucléaires.
Timing particulier
Le timing est particulier puisque le Conseil fédéral va lancer mercredi sa campagne d’économie d’énergie, le tout sur fond de guerre en Ukraine et de pénurie d’électricité annoncée pour l’hiver. En Suisse comme dans le reste du monde – même le Japon pense à relancer l’atome –, les pro-nucléaire sortent du bois. Il y a un an, l’UDC annonçait vouloir relancer l’énergie atomique. En février, le PLR adoptait une résolution visant à ne pas lui fermer la porte.
Jeudi dernier dans la presse, l’ex-conseillère fédérale Doris Leuthard a répondu à ses détracteurs. En lançant un: «Nous sommes un peuple intelligent», elle justifie le bien-fondé de la Stratégie énergétique 2050, qui mise sur les énergies renouvelables.
Quand on lui annonce le lancement de cette initiative, Roger Nordmann (ps, VD) lâche dans Le Matin Dimanche: «Elle n’a aucune chance.» Compte tenu des délais, une nouvelle centrale ne pourra pas sortir de terre avant 2067. Il rappelle aussi que la question lancinante des déchets nucléaires n’a toujours pas de solution. Sans oublier la donne géopolitique, soulignant que l’uranium «vient de Russie ou d’autres régimes douteux», et qu’à l’instar de Zaporijjia en Ukraine, «les centrales sont des cibles de choix».
A l’inverse pour Bruno Pellaud, ancien président du Forum nucléaire suisse et membre du comité d’initiative, maintenir une diversité des sources de production d’électricité (hydraulique, renouvelable, nucléaire et même un peu de gaz naturel) «est primordial». «Renoncer à l’atome à l’avenir serait une erreur.» Il compte sur les partis de droite pour corriger le tir.
Débat au sein de la droite
Les membres du comité d’initiative sont issus en majorité des rangs des jeunesses des partis UDC, PLR, du Centre et de la Lega. Leurs grands frères ne sont pas tous de leur avis, ont-ils fait savoir hier.
Une alliance interpartis de parlementaires rejette «fermement» l’initiative sur le nucléaire qui va être lancée. Des conseillers nationaux PLR (Jacqueline de Quattro), du Centre (son président Gerhard Pfister), du PS (Roger Nordmann), des Verts (Bastien Girod) et des Vert’libéraux (Jürg Grossen) défendent la Stratégie énergétique 2050, adoptée il y a cinq ans par les électeurs.
La peur d’une pénurie
Avec son initiative, le lobby nucléaire veut, sous le couvert de la sécurité d’approvisionnement, aider de nouvelles centrales nucléaires à percer, explique l’organisation faîtière de l’économie des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (aee suisse).
L’alliance Sortir du nucléaire, présidée par l’ancien conseiller national Christian van Singer (verts, VD), s’insurge aussi contre ce texte qui attise la peur d’une éventuelle pénurie d’électricité. L’Association trinationale de protection nucléaire (ATPN) dénonce, elle, un projet qui ne tient pas compte de la protection de la population suisse et des pays limitrophes. ats
Commentaire
Besoin de refroidissement, mais dans la tête!
Ironie du sort: pour annoncer le lancement d’une initiative populaire visant à relancer le nucléaire en Suisse, le comité composé de jeunes élus de droite et de représentants de l’économie n’est pas aidé par l’actualité. Alors que son texte doit être publié ce mardi, les pires craintes subsistent concernant la centrale de Zaporijia, en Ukraine.
Prise par les troupes russes début mars, la plus grande centrale d’Europe vit toujours sous la menace d’apprentis sorciers. De fréquents bombardements, dont Russes et Ukrainiens s’accusent mutuellement, font courir à l’Europe entière le risque d’une catastrophe majeure. Jamais l’énergie nucléaire à usage civil n’a fait autant l’objet de chantage à des fins militaires.
Mais c’est avant tout chez nous, en Suisse, que se joue la question énergétique. Comment éviter le risque de pénurie de courant? Une initiative pour relancer le nucléaire, avec d’interminables délais en perspective, n’est certainement pas une solution efficace à court ou moyen terme. Des surfaces énormes de toitures, de pergolas ou de talus ne sont toujours pas équipées de panneaux solaires.
Et puis il y a les éoliennes, ces épouvantails géants, si souvent montrés du doigt dans nos campagnes par des adversaires qui n’ont pas encore intégré la notion de crise énergétique à leur vocabulaire.
Aujourd’hui, l’urgence nous commande de faire les bons choix pour ne pas devoir s’éclairer à la bougie. Relancer le nucléaire? Plutôt que de construire de nouvelles tours de refroidissement, c’est bien de garder la tête froide dont nous avons besoin. Bertrand Fischer
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