Se soigner avec Darwin
Afin de mieux traiter les maladies, des chercheurs étudient leurs origines. Les facultés s’y intéressent
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Pascal Fleury
30 septembre 2019 à 18:57
Santé » Et si nos ancêtres chasseurs-cueilleurs de la préhistoire avaient quelque chose à nous dire sur nos maladies et sur leur possible guérison? Et si les momies de l’Egypte ancienne ou les peuples autochtones des régions les plus reculées de l’Amazonie pouvaient nous fournir des recettes pour rester en bonne santé? Ces questions, des chercheurs se les posent, grâce aux progrès de la biologie moléculaire et de la génétique. Et peu à peu, les facultés de médecine s’y mettent. Partant de l’idée que la maladie, ce n’est pas seulement une anomalie à un instant donné chez un patient particulier, mais un processus évolutif qui s’inscrit dans l’histoire de l’humanité, ils s’interrogent sur la genèse de nos pathologies. L’idée est de mieux comprendre pourquoi, «à l’origine», nous tombons malades, afin de pouvoir améliorer la prévention et développer de nouvelles thérapies.
Cette nouvelle approche médicale est encore relativement méconnue dans la profession. Initiée dans les années 1990 par les Américains Randolph Nesse et George Williams, mais déjà pressentie une décennie plus tôt par les chercheurs en nutrition paléolithique Stanley Boyd Eaton et Melvin Konner, elle commence à intéresser les facultés de médecine. En Suisse, l’Institut de médecine évolutionniste de l’Université de Zurich fait œuvre de pionnier, proposant des cours aux futurs médecins depuis plusieurs années. Et en France, à l’Université de Lyon, un premier diplôme européen de Biologie de l’évolution et médecine a été mis sur pied il y a quatre ans. (lire ci-dessous).
«Une nouvelle vision»
«Cette branche fait partie intégrante de la médecine clinique conventionnelle. Ce n’est pas une médecine alternative», souligne le médecin Luc Perino, coresponsable du nouvel enseignement lyonnais et auteur d’un ouvrage sur cette «nouvelle vision» de la santé. «De fait, elle ne fait qu’introduire, dans la réflexion médicale, des éléments de la biologie de l’évolution, apportant un supplément d’information à la connaissance biomédicale.»
Thomas Flatt, professeur de biologie évolutionniste à l’Université de Fribourg, confirme: la médecine évolutionniste – appelée aussi médecine darwinienne en référence au grand naturaliste anglais Charles Darwin – permet de «mieux comprendre d’où viennent les maladies et certains problèmes de santé chez les humains. Cette approche est une nouvelle façon de penser et d’interpréter les maladies.»
Antibio-résistance
La médecine darwinienne touche tous les domaines médicaux, des troubles digestifs aux douleurs articulaires, de l’obésité aux maladies auto-immunes, des pathologies infectieuses aux cancers. «Prenons l’ulcère de l’estomac, expose le clinicien Luc Perino. L’hyperacidité qui creuse la muqueuse gastrique est causée en particulier par un microbe (Helicobacter pylori). Si l’on observe cette bactérie dans l’histoire de l’humanité, on se rend compte que les chasseurs-cueilleurs en étaient déjà porteurs sans qu’elle ne soit pathogène. Grâce à des analyses génétiques, on sait qu’elle a évolué différemment selon les lignées humaines. Elle est devenue plus virulente chez certaines personnes que chez d’autres. Cette information nous a poussé à remettre en question l’utilisation systématique d’antibiotiques chez les patients colonisés.» Un avis qui corrobore aujourd’hui la pratique toujours plus restrictive des gastro-entérologues, alors qu’il faut habituellement administrer jusqu’à quatre types d’antibiotiques pour venir à bout de la bactérie Helicobacter pylori.
« Une nouvelle façon de penser les maladies »
Thomas Flatt
La résistance aux antibiotiques est l’un des thèmes phares étudiés par la médecine évolutionniste. La branche étudie aussi l’évolution d’anciens pathogènes retrouvés dans des corps momifiés, dont certains responsables de pandémies passées. Elle s’intéresse également à l’évolution du mode de vie et d’alimentation d’anciens peuples autochtones, pour mieux comprendre pourquoi les maladies chroniques ou auto-immunes sont en augmentation. En Amazonie bolivienne, par exemple, les Chimane présentent des niveaux extrêmement bas d’hypertension, de diabète de type 2 ou de maladies coronariennes.
Vieillissement et cancer
«L’approche évolutionniste ouvre clairement de nouvelles pistes», commente le biologiste Thomas Flatt. Lui-même étudie l’évolution des mécanismes du vieillissement. En laboratoire, il observe que des mutations génétiques, qui s’avèrent avantageuses pour les organismes jeunes, peuvent provoquer des maladies à la vieillesse. Ce phénomène, vu à l’échelle de l’évolution de l’homme, pourrait expliquer certains cancers ou démences séniles.
L’oncologie forme d’ailleurs l’un des grands chapitres de la médecine darwinienne. L’approche concerne non seulement les thérapies, adaptées pour réduire les phénomènes de résistance des cellules tumorales, mais aussi les politiques sanitaires étatiques. Certains dépistages organisés sont par exemple jugés inutiles par les médecins évolutionnistes. Comme celui du cancer de la prostate: «D’expérience, on sait que ce cancer est souvent si lent que le patient meurt d’autre chose avant», explique le docteur Perino. Forts de ce constat, plusieurs Etats occidentaux ont abandonné son dépistage systématique. «Il existe bien sûr des cancers de la prostate foudroyants, mais ils sont rares, souligne le médecin. En cas d’observation clinique, il faut opérer!»
1 Randolph Nesse et George Williams, Why we get sick, Ed. Times Books, 1995. En français: Pourquoi tombons-nous malades, Ed. De Boeck, 2013.
2 Luc Perino, Pour une médecine évolutionniste – Une nouvelle vision de la santé, Ed. du Seuil, 2017.
3 Voir le site de l’Institut de médecine évolutionniste, à Zurich: www.iem.uzh.ch
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