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Suisse

«Plusieurs fois passé par le feu»

Au moment de quitter le parlement pour la tête du conseil d’administration de La Poste, Christian Levrat revient sur vingt années mouvementées pour le socialiste fribourgeois dans la Berne fédérale

Legende.

 Xavier Lambiel et Philippe Boeglin

Xavier Lambiel et Philippe Boeglin

1 octobre 2021 à 23:31

Temps de lecture : 1 min

Chambres fédérales » Ce vendredi, le socialiste fribourgeois Christian Levrat a fait ses adieux au Parlement fédéral. Il aura présidé son parti pendant 12 ans et siégé 9 ans au Conseil national, et 9 ans au Conseil des Etats. Au moment de prendre la tête du Conseil d’administration de La Poste, il fait le bilan dans une arrière-salle du Conseil des Etats.

Vous quittez le parlement en pleine pandémie, alors que la police disperse les manifestants au canon à eau. Berne a beaucoup changé ces vingt dernières années?

Christian Levrat: Je fais partie de ceux qui pensent que le climat politique n’a pas tellement changé. Il ne faut pas dramatiser et il ne faut pas oublier la situation à laquelle nous avons été confrontés depuis la fin des années 90. La polarisation politique ne date pas d’aujourd’hui. Les manifestations devant le Palais fédéral non plus. Les mesures de protection actuelles datent d’un rassemblement de paysans qui avait dégénéré. L‘émergence des réseaux sociaux n’a pas contribué à tendre le climat plus que tant. Je reçois des courriers de soutien ou de protestation depuis la fin des années 90, et je n’ai pas vraiment vu de différence.

Les mesures sanitaires ne divisent pas la population?

La situation est sérieuse mais il faut faire attention à pacifier le débat et éviter les tensions inutiles. Je suis très content de voir arriver la votation de novembre. Ça va permettre aux sceptiques de se compter, le peuple parlera, et la situation va se calmer. Je suis assez optimiste sur l’issue du vote. Je plaide pour un débat serein et je pense qu’une majorité claire soutiendra le Conseil fédéral et le parlement.

Est-ce qu’Ueli Maurer a commis une erreur en prononçant ce discours où il parle de crise de gouvernance?

Il joue avec la limite du principe de collégialité et sur ce coup il est clairement du faux côté. D’habitude il est plus habile. Cela dit, je ne trouve pas si négatif que les gens les plus sceptiques face aux mesures sanitaires se sentent représentés par quelqu’un au Conseil fédéral. C’est une façon de les intégrer au débat.

Les Chambres fédérales ne sont pas parvenues à trouver des solutions convaincantes sur les réductions de CO2 ou sur les retraites. Est-ce que ce parlement fonctionne encore?

Oui, le parlement fonctionne, mais il doit faire passer ses compromis devant le peuple. La règle est claire. Il faut trois des quatre grands partis pour faire passer une réforme. A chaque fois que ça a été tenté avec deux partis, ça n’a pas passé.

Parfois ça n’a pas passé avec trois partis…

La loi sur le CO2, c’était deux partis et demi. Le PDC ne se sentait pas vraiment concerné. Alors on a perdu dans les campagnes, là où il est fortement implanté. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier, en prêtant une attention particulière à ces régions. Nous n’allons pas tomber en semi-dépression à chaque fois qu’un projet ne passe pas. Dans la pièce où nous nous trouvons, nous nous sommes souvent remis au travail juste après un vote. C’est comme ça que le PS a obtenu 2 à 3 milliards supplémentaires pour l’AVS chaque année, après avoir gagné son combat contre la réforme de la fiscalité des entreprises. Ça a été l’entreprise politique la plus délicate de ces dernières années.

L’UDC a déclaré la guerre aux villes et à ses parasites. Elle a aussi compris que les campagnes étaient au cœur des débats…

Le constat est juste. Dans le champ politique, la séparation entre villes et campagnes à tendance à croître et c’est un problème. Aujourd’hui, l’UDC attise volontairement cette vieille division. C’est un peu facile et ce n’est pas très sain. J’espère que le peuple sanctionnera tout ça, et récompensera les partis qui œuvrent pour l’unité et la cohésion du pays depuis des décennies.

Si la réforme de la fiscalité des entreprises est votre plus grande fierté, c’est l’éviction de Christoph Blocher qui a été votre émotion la plus intense?

Non, l’émotion la plus intense, ça a été l’élection d’Alain Berset au Conseil fédéral. L’histoire de Christoph Blocher a été beaucoup romancée alors qu’elle est assez simple. A gauche, il y avait un consensus pour considérer que nous ne pouvions plus continuer comme ça. Après avoir longtemps hésité, le PDC a rejoint notre analyse. Nous avons eu un peu de chance et la main heureuse en choisissant Eveline Widmer-Schlumpf, qui a fait du très bon travail. Le reste, c’est une légende née de l’aveuglement des médias. Si les journalistes avaient été attentifs à ce que disaient les cadres du PDC, ils auraient pu anticiper cette affaire, qui était lisible. Mais franchement, cette histoire est banale.

Ce n’est pas un coup majeur qui a bouleversé le paysage politique pour plusieurs années?

Ça a été raconté comme ça, mais ce n’est que du story-telling.

Et votre meilleur souvenir humain au parlement, c’est quoi?

Il y en a mille. J’ai quelques amis et beaucoup de copains dans cette maison. Je vous raconterai une anecdote, parce que Pascal Couchepin a vendu la mèche. Pour son départ du Conseil fédéral, nous avions organisé une fondue sur le toit du Palais fédéral, avec lui, Alain Berset et Christophe Darbellay. Le service d’ordre n’a que moyennement apprécié l’épisode, depuis le toit est inaccessible. On peut être adversaire politique, et s’apprécier humainement. Beaucoup de gens savent par exemple qu’Ueli Maurer m’a prêté sa voiture de fonction pour que j’assiste à la remise de maturité de ma fille, parce que j’avais égaré mes clés et que nous nous trouvions dans la campagne soleuroise. En Suisse, en règle générale, on ne transpose pas les divergences politiques sur le plan personnel. Nous avons de la chance!

Ça veut dire que vous êtes plus triste que soulagé de quitter le parlement après près de 20 ans?

Ni l’un, ni l’autre. Le Conseil des Etats, c’est un paradis pour les gens qui aiment la politique. Vous pouvez y choisir vos commissions, vos combats, vos priorités en fonction des intérêts de votre région et de vos affinités personnelles. Contrairement aux membres du Conseil national, vous pouvez rester détaché de la course médiatique… Je ressens une forme de sérénité.

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