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Suisse

«Le récit de l’espoir»

Les Verts fêtent leurs 40 ans dans un contexte électoral compliqué. Membre du parti depuis plus de 25 ans, Antonio Hodgers met en avant le récit d’une écologie «de l’espoir», loin de l’alarmisme et de la technophilie

«Si nous voulons entrer au Conseil fédéral, peut-être faut-il porter un costume», note Antonio Hodgers.

 Guillaume Chillier

Guillaume Chillier

13 mai 2023 à 04:01

Politique » Il fait partie des anciens, des Verts «canal historique». Fraîchement élu pour la troisième fois au Conseil d’Etat genevois, l’écologiste Antonio Hodgers porte un regard critique sur le discours autour de l’écologie dans un manifeste publié cette semaine (Ed. Georg).

Alors que son parti fête ses 40 ans ce samedi à Berne, il analyse l’évolution récente des Verts. Pour lui, il faut éviter de peindre l’avenir en noir comme le font les collapsologues, en rose comme le font les technophiles, mais en vert, «couleur de l’espérance».

Vous voulez renouer avec l’écologie de l’espoir. Sommes-nous dans l’écologie du désespoir?

Antonio Hodgers: Oui, je pense. Aujourd’hui, la tonalité du discours autour de l’écologie est angoissante, marquée par un récit qui tend vers la collapsologie, l’effondrement ou du moins les catastrophes successives. Cela démotive les gens. Une récente étude de l’Université de Lausanne dit la même chose: la façon dont on parle d’écologie n’active pas les mécanismes du changement, au contraire.

Pourtant, l’écologie n’a jamais été autant discutée…

Oui, mais à force de mettre en avant la fonte de la banquise, la disparition des glaciers ou les feux de forêt, la population finit par se sentir impuissante. Le cerveau humain est ainsi fait que face à des phénomènes qui le dépassent, il entre dans le déni ou la paralysie, ce qui n’est pas mobilisateur. Ce constat est valable tant pour les médias que les politiques.

Les avancées politiques sont maigres, les Verts stagnent voire reculent. N’est-ce pas finalement une écologie de la frustration?

Non, je n’y crois pas. Une partie de la jeunesse attend des choix forts pour de bonnes raisons. La population attend des choix forts aussi, elle qui place l’environnement et le climat au sommet de ses préoccupations depuis plusieurs années. Cela dit, il est vrai que le parti qui porte cela depuis toujours n’explose pas. Il y a 15 ans, je disais que les Verts devaient devenir ce que les radicaux étaient au XIXe siècle: un grand parti de classe moyenne, moderne et ouvert. Ça ne s’est pas fait, ce qui explique en partie l’émergence des Vert’libéraux.

Les Verts auraient donc raté une occasion…

Le problème, c’est que le «ventre mou» de la démocratie, une population qui se dit apolitique et qui représente près de 50% des électeurs, ne vote pas pour les Verts. Or elle est moins idéologique, bien informée, consciente des enjeux climatiques, sensible à l’environnement, à la nature ou au besoin de léguer une Suisse en bon état. La question: pourquoi ne vote-t-elle pas pour nous?

Parce que vous n’arrivez pas à démontrer qu’on peut sauver la planète en souriant?

Mon propos, c’est de dire que le réchauffement climatique n’est pas une tragédie mais une épreuve collective. Par définition, une tragédie finit mal. Une épreuve, ce n’est certes pas une promenade de santé, elle nous met en difficulté mais nous fait évoluer. L’humanité peut grandir de la transition écologique. Il y a de magnifiques défis: faire des investissements massifs, revoir notre alimentation, favoriser les circuits courts, se fournir auprès de nos paysans et de nos artisans. Tout cela me fait envie!

La transition doit nous amener du plaisir au sens de Spinoza. Il ne parle pas de plaisirs éphémères et immédiats que procure la consommation pulsionnelle d’objets. Mais bien du développement de soi, comme le permet l’art, la culture, l’effort physique et intellectuel ou le travail. Une fois l’épreuve passée, nous sommes fiers de nous; nous avons grandi.

Nous devons aussi trouver des avantages immédiats à l’écologie. Il faut consommer moins de viande rouge pour le climat? Les nutritionnistes disent la même chose pour notre santé! Alors faisons comme le tabac: ne l’interdisons pas, mais indiquons ses effets sur la santé. Et si occasionnellement on fume une clope après un bon steak, ce n’est pas dramatique.

Si nous investissons aussi dans l’isolation des bâtiments, le porte-monnaie ira mieux, le climat ira mieux, le confort personnel des locataires sera meilleur. En même temps, cela donnera du travail aux entreprises suisses, des places d’apprentissage. La Suisse achète chaque année pour 10 milliards de francs en énergie fossile à la Russie ou l’Arabie saoudite. Investissons plutôt cet argent dans nos entreprises!

Pour vous, l’écologie n’est pas égale à privation ou fin des libertés. Des changements de comportement sont pourtant jugés nécessaires…

Oui, mais il vaut mieux des règles collectives claires que de laisser les individus choisir. Un exemple: j’ai trois enfants et je ne peux pas faire les courses avec une loupe pour savoir comment a été fabriqué chaque produit, son impact carbone, etc. Donc interdisons les importations de produits fabriqués dans des conditions sociales et environnementales inacceptables. Cela libérera l’esprit des consommateurs. Ces changements collectifs provoquent souvent des réactions momentanées, mais finissent par être largement acceptés. Quand a été interdite la cigarette dans les restaurants, certains trouvaient cela liberticide. Aujourd’hui, plus personne n’y pense, car ça tombe sous le sens.

Bien sûr, certains produits seront plus rares et plus chers, mais nous aurons encore plus de plaisir à les consommer quand cela sera possible. Manger des fraises toute l’année les rend fades; par contre, les retrouver au mois de mai est une vraie fête pour le palais. Aujourd’hui, le plaisir est tué par la banalisation de la consommation. En somme, si un marché écologiquement cohérent rend plus cher ce qui impacte fortement l’environnement, on valorisera d’autant plus ce produit. C’est la philosophie de Slowfood, par exemple.

Vous évitez le mot «taxe», or c’est de cela qu’on parle et la population n’en veut pas…

Elle n’en veut pas car nous avons échoué en matière de récit. Le monde politique manque de récits mobilisateurs et laisse la peur de l’avenir et l’individualisme prendre le dessus. Le récit de l’écologie de la privation est très fort, tout comme le récit d’une Suisse qui ne peut pas, seule, régler tous les problèmes du monde.

C’est exactement là-dessus que l’UDC prospère: «On vous demande des efforts écologiques et des privations qui sont inutiles, donc le mieux est de ne rien faire, votons non à la loi sur le climat». Mon projet pour l’écologie, c’est de dire que la Suisse sera plus prospère, plus innovante, plus fière si nous diminuons notre consommation et nos émissions carbone. Cela sera bon autant pour nous que pour la planète entière.

Vous êtes en fait un vert’libéral…

Je trouve inquiétant de constater que dès que je parle d’espoir, d’optimisme et de libertés, on considère cela de droite. Etre de gauche, est-ce se condamner à avoir une vision certes lucide, mais pessimiste, teintée d’angoisse et liberticide? Alors que depuis le XIXe siècle, des militants de gauche se sont battus dans l’espérance d’un monde plus juste, plus libre et plus radieux, en somme, plus désirable, on doit aujourd’hui renoncer à ces valeurs pour être de gauche? Quelle ironie cela serait!

Mon texte dit clairement que l’essentiel de la réponse au défi climatique réside dans l’action collective, à savoir celle de l’Etat, et non pas sur les individus. En cela, il mobilise les moyens plutôt de la gauche. Et il n’y a pas de tabou pour certains interdits. A Genève, j’ai interdit la pose de nouvelles chaudières à mazout, les chaufferettes à gaz, et introduit l’obligation du tri dans les ménages. Le peuple comprend certains interdits s’ils sont proportionnés et expliqués. Je suis loin de croire que le marché et la technologie vont tout résoudre.

Vous dénoncez le discours alarmiste, or c’est la science elle-même qui le produit…

Oui et non. La science dit que les conditions de vie sur terre vont se détériorer, mais il n’y a pas de scénario de disparition de vie sur terre. En fait, cela dépend de la région et des moyens financiers à disposition. Pour nous en Suisse, cela se traduira par un climat proche de celui de Naples, mais avec de plus grandes variations. Ce n’est pas invivable.

Mais c’est à Naples que le climat sera invivable…

C’est le cœur du problème: certains peuples vont plus souffrir que d’autres. Et la réponse est la solidarité internationale, qui existe depuis longtemps. Il faut revenir aux valeurs de solidarité et de partage, se dire que l’humanité est une. C’est une autre partie de mon manifeste: éviter le récit du désespoir qui mène au repli individuel, ce qui serait contraire à la solidarité internationale nécessaire pour aider les pays les plus fragiles et les plus exposés au réchauffement. D’ailleurs, la dernière Conférence de l’ONU pour le climat a beaucoup tourné autour de la réparation, car ces pays ne sont pas responsables du réchauffement.

Ne pensez-vous pas que votre discours fasse le jeu de l’UDC?

Je pense surtout que l’écologie du désespoir a atteint ses limites. On peine à mobiliser en dehors des cercles déjà convaincus. L’alarmisme était nécessaire, mais il a atteint son objectif: personne ne nie que c’est l’un des principaux enjeux de l’humanité. Il faut aujourd’hui arrêter de peindre l’avenir écologique en noir, comme une certaine droite doit cesser de le peindre en rose en croyant que la technologie va nous sauver. Il faut le peindre en vert, couleur de l’espérance.

Quand un jeune pour le climat se colle la main sur un plateau TV, est-ce que ça sert l’écologie?

Je ne sais pas. Son action a été largement médiatisée, ce qui la légitime. Est-ce que ça convainc le «ventre mou» de la démocratie? L’attention est attirée, mais est-ce que l’action sensibilise au défi climatique? Dur à dire. Je pense qu’il faut évaluer chaque action. Par exemple, dégrader des golfs ou des œuvres d’art, c’est moins bien reçu, mais tout le monde en parle. A Genève, nous avons interdit la pose de chauffages à mazout, ce qui est plutôt radical, et personne n’en a parlé car cela s’est fait sans conflit. Peut-être aurais-je dû me coller la main sur ce règlement… (rires).

Quand des membres de votre parti peinent à condamner clairement des actes de vandalisme, est-ce que ça dessert l’écologie?

Oui, peut-être. Ça a un effet repoussoir pour une partie de l’électorat attaché à l’Etat de droit, ce qui est largement le cas en Suisse. C’est là que se pose la question du positionnement des Verts. Si nous voulons être un grand parti gouvernemental, il faut agir clairement dans le cadre des institutions et condamner ceux qui en sortent. Et quand quelqu’un agit en dehors, il faut le condamner. Après, il n’y a pas mort d’homme…

Sur toutes ces actions, je ne suis pas dans le jugement moral, mais sur l’efficacité de l’action. Prenez Greenpeace: son actuel travail de l’ombre auprès des multinationales est très efficace, mais moins spectaculaire que les actions en Zodiac.

Est-ce que les Verts manquent aujourd’hui de malice politique?

Si nous voulons entrer au Conseil fédéral, peut-être faut-il porter un costume… Il faut accepter d’être dans les institutions et de les incarner. La population a besoin qu’au-delà des questions écologiques, nous soyons solides sur tous les dossiers. Les Verts suisses font du très bon travail, mais collectivement, l’écologie politique est prise dans cette vision où elle dénonce efficacement, mais n’apporte pas de solution. Alors elle plafonne électoralement.

Le conseiller d’Etat genevois prône le renouveau d’un récit positif de l’écologie qui pourrait rassembler.

A ses débuts chez les Verts, on parlait moins de climat, mais la notion de bonheur était omniprésente dans le discours.

En dates

1979

Le Vaudois Daniel Brélaz est élu au Conseil national. Il devient le premier écologiste au monde à siéger dans un parlement national.

1983

Fondation de la Fédération des partis écologistes de Suisse (FPE) à Fribourg. Lors de ses premières élections, elle obtient trois sièges au Conseil national.

1993

Le parti adopte un nouveau nom: Les Verts – Parti écologiste suisse.

2019

Vague verte en octobre: les Verts récoltent 13,2% des voix. Ils envoient 28 représentants au Conseil national et 5 au Conseil des Etats. Pour la première fois, ils dépassent Le Centre (ex-PDC).

2023

Le parti fête officiellement ses 40 ans.

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