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Suisse

Le Gripen Suédois s’est crashé dans les urnes

Armée • L’armée suisse a subi hier un revers historique: le peuple oppose son veto à l’acquisition de 22 chasseurs en remplacement des Tiger. Défaite personnelle pour Ueli Maurer.


PHilippe Castella

PHilippe Castella

19 mai 2014 à 01:14

Désavouant les partis bourgeois, les Suisses ont privé les Forces aériennes d’un nouvel avion de combat

C’est une défaite historique pour l’armée suisse, la plus douloureuse peut-être depuis… 499 ans et une certaine bataille de Marignan. Le peuple suisse a clairement rejeté (53,4% de non) l’achat de 22 Gripen pour 3,1 milliards de francs. C’est une défaite pour le Conseil fédéral, pour le parlement et pour lui-même, a reconnu le ministre de la Défense Ueli Maurer.

Nombre de partisans du Gripen ont tenu des paroles très dures hier à l’encontre du conseiller fédéral UDC, accusé d’avoir plombé la campagne. «Elle a été entachée de couacs à répétition provenant du Département de la défense», avance Hugues Hiltpold (plr/GE) comme principale explication de la défaite. «On peut l’attribuer à la manière dont la campagne a été menée par le chef du département concerné», enchérit Jean-René Fournier (pdc/VS). «Il a une responsabilité assez importante dans ce revers», selon le conseiller aux Etats valaisan.

Victoire «inattendue»

Sous le feu des critiques, Ueli Maurer n’envisage pas pour autant de tirer sa révérence. «Je peux très bien vivre avec ce résultat», a-t-il commenté, ajoutant que, dans sa vie, il a connu «plus de défaites que de victoires». Le Zurichois se dit toujours «très motivé de continuer à s’engager en faveur de l’armée et de la sécurité du pays».

Les opposants au Gripen ne cachent pas que l’engagement excessif et maladroit d’Ueli Maurer ainsi que les nombreux couacs qui ont émaillé la campagne leur ont facilité la tâche. Pour Géraldine Savary (ps/VD), cela reste malgré tout «une victoire assez inattendue», au vu de l’engagement massif des partisans durant ces deux dernières semaines, sociétés de tir et présidents de partis de droite en tête.

Cantons latins et villes

Pour la conseillère aux Etats, «c’est d’abord la victoire d’une Suisse qui refuse de s’arc-bouter sur une vision très conservatrice du pays». Et de faire le rapprochement avec le vote du 9 février sur l’immigration, où on retrouvait la même alliance de la Suisse romande et des villes alémaniques, mais alors dans le camp des perdants, de justesse. Cette fois, tous les cantons latins se retrouvent dans le camp des gagnants, Jura en tête avec près de trois quarts de non. Ils sont accompagnés par Zurich, Berne, les deux Bâles et Schaffhouse.

Autre élément peut-être décisif dans le rejet, l’engagement d’un quarteron de politiciens de droite contre l’avion de combat autour d’un noyau constitué par le Parti vert’libéral. «Cela a déculpabilisé beaucoup de personnes qui, comme nous, à droite, pensent qu’il faut réformer l’armée», analyse Laurent Seydoux, vice-président du PVL. Pour la conseillère nationale Isabelle Chevalley, il s’agit maintenant de redéfinir les priorités en matière de sécurité. La vert’libérale vaudoise pense là en particulier à la lutte contre les cyberrisques et à la mise en place d’une police du ciel active 24 h sur 24.

Cette dernière question a été très présente durant la campagne. Les 30 millions de francs par an que coûterait cette surveillance aérienne sont peu contestés. Reste à définir si elle peut être déployée avec les seuls 32 F/A-18 restants, point qui divisait partisans et opposants du Gripen.

Des questions à régler

Il y a beaucoup d’autres questions à régler. Rare certitude, le non au Gripen ne change rien au sort des 54 Tiger que la Suisse possède encore. Ceux-ci seront mis au placard dès 2016. Et Ueli Maurer a répété hier qu’il n’y avait pas de plan B pour les remplacer.

«Cette décision du peuple a pour conséquence de créer des lacunes de sécurité», a soutenu le ministre de la Défense. Il dit vouloir tout mettre en œuvre pour les combler, mais cela demande une analyse approfondie qui va être faite ces prochains mois. Pour Hugues Hiltpold, il faut même envisager la possibilité d’acheter un autre appareil. «Le peuple suisse a dit non au Gripen, mais pas à l’acquisition de nouveaux avions de combat», nuance-t-il.

Au tour des F/A-18

Même sans cela, la question risque de revenir rapidement sur le tapis. Le renoncement au Gripen va accélérer le vieillissement des F/A-18, qui seront davantage utilisés. Le Département de la défense envisage leur remplacement à l’horizon 2025. Autant dire demain si on compare avec le processus d’acquisition des Gripen qui a démarré en 2007 pour une livraison qui était prévue d’ici à 2021.

Mais la question qui devra être réglée le plus rapidement, c’est le sort des 300 millions de francs par an inclus dans le budget de l’armée jusqu’en 2024 pour l’achat des avions scandinaves. Leur maintien dans le giron de l’armée pour d’autres missions sera discuté au sein du Conseil fédéral, puis débattu au parlement cette année encore.

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C’est la quatrième défaite lors d’une votation populaire

Le non au Gripen ne constitue pas la première défaite de l’armée suisse en votation populaire, mais c’est certainement la plus frontale et la plus cuisante. Sur la vingtaine de scrutins de ces trente dernières années touchant des objets militaires, l’armée n’en a perdu que trois autres.

En 1987, le peuple suisse acceptait par 57,8% des voix une initiative dite «Pour la protection des marais», qui visait à empêcher la construction d’une place d’armes à Rothenturm, en Suisse centrale, empiétant sur un marais.

En 1994, les citoyens helvétiques rejetaient par 57,2% des voix un projet visant à créer des troupes de casques bleus pour des opérations de maintien de la paix dans des régions en proie à des conflits.

Enfin, en 1996, le peuple s’opposait par 56,3% des voix à un projet d’économies qui voulait transférer des cantons à la Confédération la compétence d’acquérir l’équipement personnel des militaires.

Parmi les principales victoires militaires en votation populaire, on peut citer les deux initiatives «Pour une Suisse sans armée», rejetée à 64,2% en 1989 et à 78,1% en 2001. Sans oublier celle, refusée à 73,2% en septembre dernier, qui demandait l’abrogration du service militaire obligatoire.

Et en 1993, le peuple rejetait à 57,2% l’initiative «Pour une Suisse sans nouveaux avions de combat», qui voulait empêcher l’achat des F/A-18. Le Tessin, les deux Bâles, Genève et le Jura avaient approuvé l’initiative, autant de cantons qui se sont retrouvés hier dans les opposants au Gripen. Philippe Castella

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Les Sages désavoués trois fois en 2014

Avec l’initiative sur l’immigration de masse et celle sur les pédophiles ainsi que le rejet du Gripen, le gouvernement a déjà été mis en échec lors de trois votations sur sept en 2014. L’an dernier, le peuple l’avait mouché deux fois au total aux urnes.

En 2013, le souverain a été appelé à se prononcer onze fois. Il n’a refusé que le renchérissement de la vignette autoroutière contre l’avis du Conseil fédéral, l’article sur la politique familiale ayant recueilli la majorité du peuple mais pas celle des cantons. Quant à l’initiative sur les salaires abusifs, acceptée par surprise, le gouvernement n’avait pas donné de consigne de vote.

En 2012, le Conseil fédéral a encaissé trois échecs sur douze objets, notamment le oui à l’initiative sur les résidences secondaires qu’il combattait et le non aux réseaux de soins, qu’il soutenait.

Ces derniers temps, le gouvernement a en revanche été suivi sur des objets importants comme le plan de financement et d’aménagement ferroviaire (FAIF), la loi sur l’asile et la loi sur l’aménagement du territoire. Depuis 2012, le Conseil fédéral a combattu avec succès douze des seize initiatives populaires soumises au vote.

Le taux des scrutins remportés par le gouvernement sur la législature en cours, soit depuis la fin 2011, se situe à 72%. Cette proportion est un peu moindre que durant la période précédente (77%). Celle d’avant (2003-2007) avait été marquée par un maigre taux d’approbation, à 66%. L’année 2004 surtout avait été amère pour le Conseil fédéral: le peuple l’avait dénigré huit fois sur treize.

Ueli Maurer, lui, enregistre sa première défaite devant le peuple depuis son entrée en fonction en 2009. ATS

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