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Histoire vivante

Stonewall, la révolte arc-en-ciel

Il y a 50 ans, un bar s’est retrouvé au cœur de la lutte pour la reconnaissance du mouvement LGBT

«Nous avons fait un grand chemin. Mais il en reste encore à faire», affirme Jay Toole devant le bar emblématique The Stonewall Inn à Greenwich Village, où la révolte a commencé.

 Kessava Packiry, New York

Kessava Packiry, New York

27 juin 2019 à 19:40

Manhattan » New York s’est paré des couleurs arc-en-ciel. La ville célèbre les 50 ans des émeutes de Stonewall, qui ont marqué le début de la lutte des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), aux Etats-Unis comme dans le monde. C’était il y a cinquante ans, jour pour jour, dans un bar de Greenwich Village qui existe toujours. Le Stonewall Inn, lieu prisé de la communauté homosexuelle, subissait un raid de plus de la police. Un de trop. Ce soir du 28 juin 1969, les gens ont dit assez. Jay Toole y était.

«Les raids étaient assez courants. Nous étions souvent frappés ou arrêtés pour déviance sexuelle ou pour le simple fait pour une femme de porter des habits d’homme, ou inversément.» Qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres, se demande encore aujourd’hui cette queer de 71 ans, devenue une figure de Stonewall et qui organise des visites guidées du «Queer Village»? «Ce que je peux dire, c’est que cette nuit-là, la descente de police a provoqué un rassemblement de centaines de personnes: des gays, des lesbiennes, des transgenres, des non-binaires, des bisexuels… Mais pas seulement: il y avait aussi des membres des Black Panthers (mouvement radical des Afro-américains, ndlr), ou des gens qui protestaient contre la guerre du Vietnam. Tout le monde criait, jetait tout ce qu’il pouvait. Et tous ces gens, face à la violence policière, ne formaient plus qu’une seule communauté, pour dire: maintenant ça suffit.»

Un endroit chaleureux

Les émeutes ont duré près d’une semaine, faisant de nombreux blessés. Jay Toole était une sans-abri à l’époque. Elle se souvient qu’elle dormait dans le parc de Washington Square, non loin de la Christopher Street, où se trouve le bar. «Le bruit a très rapidement circulé que quelque chose se passait là-bas. Nous y sommes allés. Heureusement, je n’ai pas été arrêtée, ni blessée.»

Pour une personne en détresse comme elle, Stonewall était un endroit chaleureux, accueillant, où il y avait toujours quelqu’un pour offrir un verre. «C’était un havre de paix.» Il faut aussi souligner, rappelle-t-elle, que Stonewall était à l’époque l’un des rares bars de Manhattan à vendre des boissons alcoolisées aux homosexuels. A ce titre, il était illégal, ce qui donnait un prétexte de plus à la police pour intervenir. «Le bar était géré par la mafia. Elle y a vite vu l’intérêt de se faire des dollars, en vendant à des gens comme nous de l’alcool. Cette mafia new-yorkaise était en cheville avec la police, qu’elle graissait: généralement, elle était avertie lorsqu’il y avait une descente importante. Mais ce soir-là, il n’y a eu aucun appel, aucun téléphone.» Le maire de l’époque, le républicain John Lindsay, voulait frapper un grand coup.

« Stonewall est l’aboutissement de vingt ans de sensibilisation »

Adrienne Shaw

Cinquante ans plus tard, la police new-yorkaise, la NYPD, s’est pour la première fois excusée. «Ce qui s’est passé n’aurait pas dû arriver. Les mesures prises par la police de New York étaient erronées, purement et simplement», a déclaré début juin le chef de la NYPD, James P. O’Neill. «Les actions et les lois étaient discriminatoires et oppressives, et je m’en excuse.»

Professeure associée en communication à la Temple University, à Philadelphie, et spécialiste du sujet LGBT, Adrienne Shaw relève: «Ce n’était pas la première fois que les LGBT militaient aux Etats-Unis. Les émeutes des Copper Donuts, à Los Angeles en 1959, et de la Compton’s Cafeteria à San Francisco en 1966 sont régulièrement oubliées. Ce qui a fait la différence, c’est que Stonewall a fait l’objet d’une couverture médiatique, qui a eu une portée internationale, en particulier dans le New York Times, bien que son histoire des émeutes ne figure qu’à la page 33.»

A New York, des journaux comme The Village Voice, qui couvrait l’actualité culturelle foisonnante de West Village, ont commencé à se faire le porte-voix des personnes LGBT. Et des associations militantes ont vu le jour. «Stonewall est souvent décrit comme le début de quelque chose alors qu’en réalité, c’était l’aboutissement de deux décennies de sensibilisation, d’activisme et de visibilité accrue des LGBTQ», poursuit Adrienne Shaw.

Der Kreis à Zurich

Président de Sarigai, association fribourgeoise pour personnes lesbiennes, gays, bi et trans, Gonzague Bochud ajoute: «Des mouvements et actions avaient déjà débuté en Europe au début du XXe siècle, puis surtout pendant l’entre-deux-guerres, particulièrement à Berlin dans les années 1920-1930, qui ont été anéantis par la montée du fascisme et du nazisme. En Suisse, dans l’entre-deux-guerres, des mouvements avaient également été lancés, particulièrement à Bâle et Zurich. Une association internationale, Der Kreis (le Cercle, entre 1932 et 1967), était basée à Zurich, elle avait des membres dans tous les pays occidentaux, y compris aux USA.»

Gonzague Bochud partage l’avis d’Adrienne Shaw: Stonewall est devenu symbolique en raison de sa forte médiatisation. «L’année suivante, les personnes LGBT de New York ont commémoré cet événement, qui a ensuite essaimé dans différentes villes des Etats-Unis et en Europe, puis dans le monde.»

Ce 30 juin, une immense parade, la World Pride Parade, se tiendra à Manhattan sur la 5e avenue. Le feu d’artifice de plus d’un mois d’événements et de manifestations. Les organisateurs s’attendent à 2 ou 3 millions de personnes, dans une ville qui en compte 8,5 millions… «Je ne sais pas où ils vont mettre tout ce monde», sourit Jay Toole, qui regarde le trajet parcouru en 50 ans. «Nous avons fait un grand chemin. Il en reste encore à faire. Mais avec un président comme Donald Trump qui, par son attitude, laisse la porte ouverte aux discriminations et a, par ailleurs, interdit aux transgenres d’intégrer l’armée, nous avons reculé de plusieurs pas…»

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