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Jabeur et l’argent du beurre

Finaliste de Wimbledon, la Tunisienne est une joueuse complète mûre pour son 1er titre en grand chelem


 Pierre Salinas

Pierre Salinas

15 juillet 2023 à 04:01

Tennis » Première femme arabe à remporter un tournoi du grand chelem chez les juniors (Roland-Garros 2011); première femme arabe à s’adjuger un titre sur le circuit WTA (Birmingham 2021); première femme arabe à entrer dans le top 10 (octobre 2021)… Ons Jabeur n’écrit pas l’histoire: elle est déjà l’histoire, celle d’un pays de foot qui, avant elle, n’avait que peu d’intérêt pour la petite balle jaune. Ne pas oublier Selima Sfar et Malek Jaziri, qui ont ouvert les premières portes. Mais depuis son avènement au plus haut niveau, la Tunisienne de 28 ans trace une véritable autoroute vers le bonheur, dont elle est la ministre.

Ons Jabeur, «la ministre du bonheur», telle que la surnomment ses compatriotes: la responsabilité est grande, mais la fonction taillée pour son jeu inspiré et inspirant qui tranche avec les stéréotypes actuels. Nul doute que sa mission serait accomplie si, cet après-midi en finale de Wimbledon, la No 6 mondiale devait imposer sa créativité à celle de la Tchèque Marketa Vondrousova (WTA 42) pour, ainsi, devenir la première femme arabe à inscrire son nom au palmarès d’un des quatre tournois majeurs. Chez les adultes, cette fois-ci.

1 Un talent à maturation lente

Jabeur et l’argent du beurre. La troisième sera-t-elle la bonne? Battue deux fois l’an passé à ce même stade de la compétition (Wimbledon et US Open), la Tunisienne semble enfin mûre pour coiffer son indissociable bandana d’une couronne. «Mon ancien moi aurait perdu ce match et préparerait déjà ses bagages», déclarait-elle jeudi au terme de sa demi-finale gagnée de haute lutte face à la frappeuse bélarusse Aryna Sabalenka. Son ancien elle? Une personne qui n’existe plus et qui avoue avoir manqué la transition entre l’insouciance de la jeunesse et la rigueur que nécessite le professionnalisme.

«Ons est un prodige. Mais un prodige qui, depuis sa victoire à Roland-Garros juniors en 2011, a dû attendre dix ans pour… comment dire… se trouver», rappelle Rafik El Herguem, responsable de la rubrique sportive du quotidien La Presse, basé à Tunis. Le journaliste parle de «justice lente» et d’une «équipe 100% tunisienne», du coach à la préparatrice mentale, qui a agi comme un déclic. Français qui a accompagné le Tunisien Malek Jaziri sur l’ATP Tour entre 2016 et 2020, Christophe Freyss abonde: «La rencontre avec son mari (Karim Kamoun, ancien escrimeur international, ndlr), qui est aussi son préparateur physique, a été prépondérante. Ons a laissé quelques kilos sur la balance et se déplace avec beaucoup plus de facilité depuis.»

2 Des variations qu’il a fallu dompter

Ici, un slice court et ciselé. Là, une amortie. Quant à son coup droit, il est capable de déborder n’importe quel adversaire, les plus «vigousses» aussi. «Son jeu est atypique», souligne Christophe Freyss. Et celui qui est établi à Romont d’expliquer: «Quand elle est en situation de finir le point, elle le finit, quand elle doit au contraire attendre, elle attend. Et s’il faut réussir des coups plus compliqués, des amorties ou des demi-volées, elle peut s’appuyer sur son toucher… Bref, elle sait tout faire!»

La polyvalence d’Ons Jabeur fait aujourd’hui lever les foules. Elle n’a pas toujours été assumée. «J’avais tellement de possibilités que, longtemps, je ne parvenais pas à faire les bons choix, quitte à faire carrément n’importe quoi», se souvient la joueuse dans un reportage de l’Equipe Explore. La native de Ksar Hellal, ville située sur les bords de la Méditerranée, n’est pas le premier talent à avoir dû faire de l’ordre dans ses idées. Roger Federer est passé par là lui aussi.

3 Un exemple et une responsabilité

Juillet 2022. La finale de Wimbledon a mal tourné (défaite contre Elena Rybakina) mais Ons Jabeur est accueillie en grande pompe à l’aéroport de Tunis-Carthage. Avant de recevoir des mains du président Kais Saïed la grande médaille de l’ordre national du mérite. «Elle est la fierté de notre peuple. Dans un contexte politique et économique morose, elle offre une sorte d’exutoire à chaque fois qu’on la voit à la télé. Tout le monde la suit. On vit le tournoi avec elle. Avec le même stress, les mêmes attentes, le même bonheur.» Rafik El Herguem n’a pas assez de superlatifs pour expliquer ce que représente la «ministre du bonheur.»

«Plus qu’un phénomène de société, c’est la porte-parole de la nation», reprend l’homme de presse, qui n’exclut pas toute récupération politique. «Il y en aura, cela va de soi. Mais l’essentiel est ailleurs, ose-t-il. Il est dans l’exemple qu’Ons Jabeur donne aux petites filles qui, comme elle, veulent s’émanciper à travers le sport.» Christophe Freyss a côtoyé le phénomène de suffisamment près pour mesurer l’aura qu’il dégage. «C’est un truc de fous! Pour les Tunisiens, Ons est leur petite chérie, leur perle.» Une icône.

Ouverte et forte, consciente de sa notoriété, la joueuse ne fuit pas ses responsabilités. «J’espère écrire l’histoire non seulement pour la Tunisie et le monde arabe mais pour l’Afrique entière», clame-t-elle.

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