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L’or du dispensateur de joie

Il y a 40 ans, Jacques Lüthy gagnait le bronze olympique en slalom à Lake Placid

Aux JO de Lake Placid (1980), le Charmeysan Jacques Luthy avec ses entraîneurs. Photo ASL, 1980

Gilles Liard

Gilles Liard

21 février 2020 à 17:58

Ski alpin » Emmitouflée dans son écrin bleu foncé, enfouie dans un tiroir derrière la caisse de son magasin de sport, LA médaille de bronze. Dûment gravée au nom de son illustre propriétaire: Jacques Lüthy. Chez l’homme, son visage ovale porte quelques stigmates de six décennies. Ses cheveux virent gentiment du châtain à l’argent. Sinon, sa voix, douce, posée, et son débit de paroles, calme, s’inscrivent toujours dans le style fluide du slalomeur posé sur de solides guibolles en or.

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Quarante ans ont passé depuis ce fameux vendredi 22 février 1980 à Lake Placid, où le Charmeysan devenait quatrième Fribourgeois (après le bobeur Pierre Musy, la skieuse Renée Colliard et le cavalier Henri Chammartin) et le premier Gruérien médaillé olympique. Dans l’appartement familial qui surplombe l’enseigne du même nom, l’ambassadeur charmeysan a repassé son grand film olympique, sourire aux lèvres, avec cette même modestie qui caractérise son personnage. Action.

 

L’unique expérience olympique

 

A 20 ans, Jacques Lüthy découvre les Jeux olympiques. Les seuls qu’il animera. Au-delà de son attitude quelque peu insouciante, voire désinvolte, le Gruérien nourrissait des ambitions de médaille: «J’étais en forme», argue-t-il. Les premiers entraînements, menés sur le site de Whiteface Mountain, le confirment: «Il faisait très froid: – 20 degrés certains jours. Au village olympique, nous étions bien logés. C’était bonnard. Ça a été transformé en prison après les jeux.»

 

Les 18 et 19 février, fataliste en géant

 

Ingemar Stenmark traversait une série d’invincibilité de 14 courses en géant. Poulidor à six reprises du taciturne Suédois, le Gruérien était surtout attendu dans cette discipline. Le lundi 18 février, il frise la rebuffade lors de la 1re manche, qu’il boucle au 11e rang. «Jean-Luc Fournier et Peter Lüscher étaient sortis. Je n’avais pas pu avoir leurs renseignements. J’étais tendu. C’était gelé, il y avait déjà les canons à neige. Il m’aurait fallu plus d’explosivité.» La TV romande, qui avait prévu une émission en direct à Charmey, le lendemain soir, en vue de la seconde manche, décide de filer à Morgins, fief de Joël Gaspoz, étonnant 5e de la journée initiale. Ce qui déclenche l’ire de Marcel Lüthy, le papa.

Le fiston ravive les regrets en signant le 2e temps de la 2e manche, à 0’’95 de Stenmark, qui brûle la politesse à Wenzel et Enn. Jacques termine 5e, à seulement 0’’24 du bronze. «Déçu? Oui, mais je ne pouvais plus rien changer. J’avais bien skié. On ne peut pas tout avoir.» Fatalisme…

 

Le 21 février et le bilan décevant

 

La veille de ce fameux 22 février 1980, le comité olympique suisse débarque chez les alpins. Furax. Marie-Thérèse Nadig, qui devait se parer d’or, n’avait récolté «que» le bronze en descente, tandis que Peter Müller était resté chocolat (4e). Les officiels expriment leur mécontentement. «A un moment, Gaspoz a lancé: «Mais y a encore Jacques, demain!» Tout le monde avait rigolé», se rappelle le Gruérien, qui ne pipe mot pour mieux répliquer skis aux pieds. Après tout, ne restait-il pas sur une 3e place en spécial à Kitzbühel? «J’avais fait le meilleur temps de la 2e manche en mettant une demi-seconde à Stenmark.»

 

Le 22 février, l’exploit est en piste

 

Le D-Day, comme ils disent de l’autre côté de l’Atlantique. Avec le dossard No 5, le Fribourgeois signe le 2e temps de la 1re manche du slalom (ex aequo avec Hans Enn), à 0’’39 de Phil Mahre, l’idole nationale. Il devance Stenmark de 0’’19. L’exploit est en piste: «J’étais en tête au temps intermédiaire. J’avais juste pu éviter un piquet qui me passait à côté en sortant de la trajectoire.»

L’entre-deux-manches. Jacques Lüthy résiste. Détachement? Insouciance de l’enjeu? Que nenni! «Quand je remontais la piste pour la reconnaissance, j’avais les boules. Je voulais réussir une course sans faute. Contrairement aux Italiens qui bougent beaucoup sur les skis, je l’ai jouée cool. Il y avait pas mal de pièges. C’était plus direct sur la fin. C’était la bonne tactique, finalement.» Dans l’aire d’arrivée, Peter Müller lui reproche sa passivité: «Surtout à la sortie du portillon. Aujourd’hui, ce serait juste impensable d’assurer dans une 2e manche.»

 

Bio express

1959Naissance de Jacques, le 11 juillet à Charmey.

1978Premier départ en Coupe du monde, le 9 décembre à Schladming, avec un 10e rang en géant à la clé.

1980

Aux Jeux de Lake Placid, 5e du géant le 19 février et 3e du slalom le 22 février.

En Coupe du monde, 6e du général, 3e en géant et 7e en slalom.

1985Dernier départ en Coupe du monde: 11e du super-G de Garmisch.

1987-1990Il anime le circuit nord-américain.

Marié à AnneLe couple a deux enfants, Jérémie (1990) et Caroline (1992).

 

L’attente est interminable. Comme prévu, le patron Stenmark a redistribué les cartes. Il s’est gardé le bour. Enn vient de passer derrière pour un poil. Neureuther échoue d’une spatule et demie. Popangelov ne reviendra pas. C’est bon! «J’ai dû attendre les derniers coureurs du premier groupe pour être certain de ma médaille.»

Tonnerre d’émotions. En Suisse, on surfe sur une vague bronzée dès 19h. Huit mille cinq cents kilomètres plus à l’ouest, c’est la cérémonie protocolaire. Impressionné par la foule et le show made in US, le Charmeysan ne se départit pourtant pas de son sourire quand le speaker prononce son nom: «Il y avait une masse de gens parce que les Etats-Unis venaient de battre les Russes au hockey. C’était la fête!»

 

Le 3 mars, retour en héros

 

Seul médaillé masculin chez les alpins helvétiques, Jacques Lüthy ne regagne la Suisse que le 3 mars, après avoir bataillé en Coupe du monde aux Etats-Unis. Après 15 heures de voyage, le héros est accueilli à Kloten avec chaleur et vacarme. A ses côtés, ses collègues féminines Erika Hess (bronze en slalom) et Marie-Theres Nadig (bronze en descente) ne reçoivent qu’un accueil poli.

Le retour au bercail marque des arrêts à Fribourg, à Bulle, où le Gruérien monte sur une calèche au côté de ses parents, puis à Charmey. Espiègle, esquissant un sourire ici et là, il traverse le flot d’éloges et la quinzaine de discours avec patience et courtoisie. Belle performance pour quelqu’un qui n’affectionne guère parades et flatteries: «C’était passé vite, ce soir-là. Les gens avaient «pintolé» à fond la caisse. Moi, j’étais crevé. J’étais allé me coucher assez vite.»

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