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Hockey sur glace

L’heure de la grande réforme

La National League planche sur des projets novateurs. Dès la saison 2022/23, les clubs devraient travailler avec un plafond salarial tout en ayant la possibilité d’aligner dix étrangers. Le monde du hockey est divisé

Cette saison, Fribourg-Gottéron s’appuie sur David Desharnais (à gauche) et Viktor Stalberg. Dès 2022, les Dragons pourraient compter jusqu’à dix étrangers dans leurs rangs.

 François Rossier et Pierre Schouwey

François Rossier et Pierre Schouwey

15 décembre 2020 à 18:14

Temps de lecture : 1 min

National League » Août 2019. A un an de la fin du contrat qui les lie, Fribourg-Gottéron et Reto Berra négocient une prolongation. Le gardien zurichois fait monter les enchères jusqu’à la dernière minute car il se sait en position de force. Des bons comme lui à son poste, il n’y en a pas, ou peu, en Suisse. Pour lui dénicher un remplaçant à valeur plus ou moins égale, Gottéron n’aurait d’autre choix que de recruter hors des frontières helvétiques et sacrifier l’un de ses quatre précieux postes réservés aux joueurs étrangers. Tout-puissant, Reto Berra obtiendra ce qu’il voulait, à savoir un salaire annuel dépassant les 800’000 francs.

Le cas du gardien des Dragons, qu’il ne s’agit aucunement de pointer du doigt (il aurait tort de ne pas profiter du système), n’est qu’un exemple parmi d’autres de la surenchère à laquelle se livrent les directeurs sportifs. Pour stopper l’inflation des salaires, les clubs ont décidé d’agir. En même temps qu’elle a déclaré son indépendance de la Fédération suisse de hockey sur glace l’été passé, la National League a désigné un groupe de travail appelé à proposer de nouvelles structures pour le hockey suisse.

Le plafond salarial acté

Favorisée par la crise économique qui obligera certains clubs à emprunter et à rendre des comptes, la révolution est en marche. Elle n’est pas attendue pour le prochain championnat, mais le suivant, soit au début de la saison 2022/23. Les changements imaginés sont d’importance, raison pour laquelle les décideurs marchent actuellement sur des œufs. «Les discussions sont en cours. Ça ne sert à rien de les commenter, lâche d’entrée Raphaël Berger, qui se montre évasif pour les semaines à venir. Il n’y a pas de calendrier précis pour de futures annonces. Rien ne presse car il n’y aura aucun impact sur la saison prochaine.» Le directeur général de Gottéron, par ailleurs membre dudit groupe de travail, précise «que le Covid-19 ne joue pas de rôle dans le processus de réflexion» dans lequel «les joueurs ne sont pas la priorité». «Ce n’est pas simplement passer de quatre à dix étrangers, c’est un package global qui prend en compte le renforcement des ligues juniors, le repositionnement de la Swiss League, l’accord NHL qui permet à un club d’engager un étranger supplémentaire en cas de départ d’un joueur suisse ou l’élaboration d’un plafond salarial.»

Deux mesures phares ont filtré dans la presse, notamment à Watson.ch, et font couler beaucoup d’encre. Celle qui divise le plus? La hausse spectaculaire du nombre de joueurs étrangers, censée densifier un marché suisse trop restreint. Concrètement, chaque équipe de National League aura le droit d’aligner jusqu’à dix mercenaires par rencontre, soit six de plus qu’aujourd’hui. Ou plus exactement: l’obligation pour Fribourg-Gottéron et ses concurrents d’inscrire 12 Suisses (sur 22 places) sur la feuille de match, ce qui n’est pas tout à fait pareil d’un point de vue juridique.

Au fait, pourquoi ne pas avoir privilégié un entre-deux? «Engager un ou deux étrangers de plus dans l’espoir d’améliorer la situation des clubs n’aurait eu aucun effet. Les clubs riches auraient été avantagés car ils auraient pu recruter six top étrangers», avance Raphaël Berger.

L’instauration d’un plafond salarial, qui logera tout le monde à la même enseigne, est moins clivante. Le 20 novembre dernier dans ces mêmes colonnes, Hubert Waeber, président de Fribourg-Gottéron, se disait «confiant» quant à la réalisation de ce projet. Directeur sportif des ZSC Lions, Sven Leuenberger s’est montré autrement plus affirmatif lorsque nous l’avons contacté: «Je crois qu’il est désormais clair que le plafond salarial va être mis en place. Il y a des chiffres articulés pour le montant minimum et maximum, mais rien d’établi.»

Avis mitigés dans les clubs

Sven Leuenberger n’est pas franchement emballé. Son club non plus. Zurich est en effet le seul, parmi les douze à composer la première division du pays, à avoir voté non à la réforme. «C’est exact. Nous sommes d’avis que chaque club est en droit de dire combien il souhaite investir», rétorque l’ancien défenseur, pas surpris que son (riche) employeur se retrouve à ce point esseulé: «Cela démontre que beaucoup préfèrent acheter plutôt que former. La moitié de notre première équipe provient de notre mouvement junior. C’est une filière qui marche…»

«En tant que directeur sportif, j’ai peur que ce que nous avons fait de bien pour les équipes nationales tombe à l’eau.»
Reto Raffainer

Du bout des lèvres, Sven Leuenberger admet cependant que les hockeyeurs suisses gagnent de manière générale (trop) bien leur vie. Il faut savoir que la National League, dotée d’un salaire annuel moyen de 215’000 francs selon la Sonntags Zeitung, est bien plus intéressante financièrement que la plupart de ses cousines européennes. Des joueurs slovaques, tchèques ou finlandais – pour ne citer qu’eux – de seconde zone coûteraient moins cher que des éléments helvétiques de même niveau. «Il est difficile de comparer un étranger et un Suisse car au final, tous les coûts baisseront avec une ouverture du marché», calcule Reto Raffainer, directeur sportif du HC Davos. La qualité de jeu ne va pas en pâtir, bien au contraire, estiment plusieurs acteurs du milieu. «Le but premier est économique. On veut baisser la masse salariale des clubs. Mais le deuxième est sportif, poursuit Raphaël Berger. Cela nous permettra d’avoir une ligue plus compétitive.»

Il n’empêche, Reto Raffainer, comme d’autres directeurs sportifs avant lui, tire la sonnette d’alarme. «Je suis dans une situation délicate, sourit l’ancien directeur des équipes nationales. Il y a trois ans, je me suis battu contre cette augmentation du nombre d’étrangers. Aujourd’hui, le contexte global de la ligue a changé. Il y va de la survie et des finances des clubs. D’un autre côté, en tant que directeur sportif, j’ai peur que ce que nous avons fait de bien pour les équipes nationales tombe à l’eau.» La révolution à venir n’a pas fini de diviser.

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