Commotions cérébrales. le casse-tête
Durant la saison 2016/2017, 104 hockeyeurs suisses ont subi un traumatisme crânien
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Jean Ammann
21 décembre 2017 à 05:00
Traumatisme » Ce sont des chiffres qui font tourner la tête: au cours de la saison dernière, on a compté 104 commotions cérébrales dans les ligues nationales de hockey, dont 61 rien qu’en National League (ex-ligue A). «Plus de 100 commotions, c’est trop, c’est beaucoup trop», a déclaré Gery Büsser, médecin des Zurich Lions et responsable d’une commission ad hoc de la Fédération suisse, dans une interview donnée au Tages-Anzeiger (le 8 décembre).
L’interview du Tages-Anzeiger commence par une litanie: Blindenbacher, Sprunger, Shore, Suter, Blum, Untersander, Rathgeb, Krueger, Schilt… Ce sont quelques-uns des hockeyeurs qui souffrent ou qui ont souffert d’une commotion depuis le début de la saison. En moyenne, d’après les chiffres de Gery Büsser, un joueur commotionné est absent durant près de 21 jours (20,7 pour être précis). Pour certains, c’est beaucoup plus long, comme pour Julien Sprunger, absent du jeu depuis deux mois. Pour d’autres encore, la commotion a marqué la fin brutale de leur carrière: Chuck Kobasew, l’ailier du CP Berne, s’est retiré définitivement à la fin de la saison 2016, il avait 34 ans et cinq commotions au compteur, dont trois au cours des seize derniers mois…
Sonnés et dépressifs
Le mécanisme de la commotion est assez simple à comprendre: à la suite d’un choc direct ou indirect, la tête subit une accélération; le cerveau suit le mouvement et lorsque ce mouvement s’arrête, il vient buter contre le crâne. Quand la tête part en rotation, les chercheurs ont constaté que le cerveau subit aussi des dommages par cisaillement: les fibres nerveuses se déchirent sous l’effet de la torsion.
Normalement, l’homme récupère assez bien d’une commotion. Gery Büsser constate que certains joueurs reviennent à la compétition après sept jours déjà; les 70% sont de retour après trois semaines et les 90% des joueurs sont de retour après trois mois. Le problème, c’est lorsque les commotions se répètent: une étude parue en 2003 a montré que la dépression touchait les footballeurs américains retraités en fonction du nombre de commotions reçus durant leur carrière. Plus ils avaient été sonnés, plus ils étaient dépressifs!
Chez les footballeurs US qui n’avaient jamais eu de commotion, la proportion de dépressifs diagnostiqués était de 6,5%; chez ceux qui avaient eu une ou deux commotions, la proportion était de 9,7% et chez ceux qui avaient subi trois commotions ou plus, la proportion était de 20,1%. Dans d’autres études, les auteurs constatent aussi des perturbations de l’hypophyse et un risque accru de démences, à commencer par la démence pugilistique.
En 2003, une équipe canadienne, celle d’Iverson, s’est intéressée aux sportifs amateurs et elle a découvert que les commotionnés étaient des récidivistes: 92% des deuxièmes commotions sont survenues moins de dix jours après la première; si un joueur avait dans son passé plus de trois commotions, son risque de développer une nouvelle commotion était multiplié par trois.
1,4 kg contre 96,3
Face au fléau des commotions, le hockey ne reste pas inactif: cette saison, la Swiss Ice Hockey Federation a exigé des bandes flexibles dans toutes les patinoires. En 2015, la NHL a nommé des concussion spotters qui ont le pouvoir de retirer de la glace un joueur qui présente les signes de la commotion… Ce sont de bonnes idées, qui ne s’attaquent cependant pas aux causes du mal: «On peut penser que l’incidence et la sévérité des commotions vont continuer d’augmenter si les athlètes continuent d’être toujours plus grands, plus rapides et plus forts», écrit Jason Izraelski, dans The Journal of the Canadian Chiropractic Association (2014). En seize ans, de 1986 à 2002, les hockeyeurs de NHL ont grandi en moyenne de 2,5 cm et grossi de 5 kg environ. Depuis cette date, la tendance s’est confirmée: en 2013 (NHL), en cas de commotion cérébrale, l’«agresseur» mesurait en moyenne 187 cm et pesait 96,32 kg. Et on voudrait que les 1400 grammes du cerveau résistent à ça.
Slava Bykov: «Pas de charges frontales entre les lignes bleues»
Deux titres de champion olympique, cinq titres de champion du monde et trois commotions. Slava Bykov, ex-entraîneur de l’équipe nationale de Russie (2006-2011), sait de quoi il parle lorsqu’il évoque le problème récurrent des commotions, «un problème auquel on ne peut pas être insensible», dit-il.
La commotion, c’est quelque chose que vous avez vécu?
Slava Bykov: Personnellement, j’ai eu trois commotions: la première au début des années 80, quand je jouais encore à Traktor Tcheliabinsk, et les deux autres, sous le maillot de Fribourg. Mais je n’ai pas de séquelles, à part quelques problèmes de vue, qui sont peut-être liés à l’âge plus qu’aux commotions.
Est-ce qu’en Russie, où vous avez entraîné, la fréquence des commotions est pareille à celle que nous connaissons en Suisse: 61 cas en National League durant la saison 2016-2017?
61 commotions, cela fait plus de cinq par clubs de ligue A… Je n’ai jamais connu ça dans les clubs que j’ai entraînés, ni au CSKA Moscou, ni à Oufa, ni à St-Pétersbourg. Je pense qu’en Russie, le jeu est moins physique, il est plus basé sur la technique. Ce qui ne veut pas dire que le jeu soit plus propre: en Russie, il y a pas mal d’accrochages, d’obstructions… Mais les blessures à la tête sont moins nombreuses.
Voyez-vous une solution pour protéger les hockeyeurs?
Je me suis aperçu que très souvent, les commotions se produisaient entre les deux lignes bleues, dans la zone médiane. C’est un endroit particulier, où l’attaquant attend une longue passe: il cherche le puck, il est moins concentré sur l’adversaire. Cela le rend très vulnérable et cette fragilité incite l’adversaire à charger. A ce moment, le joueur n’est pas préparé à l’impact et il prend toute l’énergie du choc. Ma proposition serait la suivante: on interdit les charges frontales entre les deux lignes bleues. Je lance l’idée… Peut-être que c’est irréalisable, peut-être qu’il faudrait déjà tester ce règlement dans les ligues mineures.
Plus de charges entre les lignes bleues… N’est-ce pas dénaturer le hockey?
Je suis conscient que le hockey est un sport dur, un sport de combat, mais cela n’empêche pas le respect. Les charges existeraient toujours! Seulement, elles seraient ailleurs dans la patinoire, là où les joueurs sont plus attentifs, où la vitesse est moindre. On pourrait aussi imaginer que lors d’une charge, le joueur n’ait pas le droit de tenir sa canne à deux mains. En s’appuyant des deux mains sur la canne, le joueur donne encore plus d’énergie à sa charge et il a, à mon avis, l’intention de faire mal… On pourrait dire que les charges sont autorisées à condition que le joueur tienne sa canne à une seule main.
Quelle est la définition d’une bonne charge?
Un body check, c’est fait pour écarter l’adversaire et récupérer le puck, c’est fait pour fatiguer l’adversaire et lui imposer son rythme, c’est une forme d’intimidation, mais ce n’est pas forcément dangereux si le contact se fait épaule contre épaule. Les Suédois, par exemple, jouent dur, mais ils sont techniques et leurs charges sont correctes. J’ai connu des gars, comme Ruotsalainen à Berne, ou bien Philippe Marquis et Patrice Brasey à Fribourg, qui pouvaient subtiliser un puck par leurs seules qualités de patineur. J’en appelle aussi aux formateurs: les bonnes charges s’enseignent, c’est une question d’éducation. Mais l’éducation ne se limite pas à la technique: elle touche aussi l’éthique. Il faudrait enseigner le fair-play comme on enseigne les gestes techniques. ja
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