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Qatar, Rwanda, le sport en étendard

Le Rwanda, qui mise sur le sport pour faire briller son image, subira-t-il autant de critiques que le Qatar?


 François Janne d’Othée

François Janne d’Othée

3 avril 2023 à 04:01

Investissements » Les projecteurs sont éteints sur le Qatar mais ils se rallument sur le Rwanda. Le pays des mille collines vient ainsi d’héberger l’assemblée générale de la FIFA, qui a réélu Gianni Infantino à sa tête. Surtout, en 2025, il accueillera les championnats du monde de cyclisme sur route, devenant ainsi le premier Etat africain à les organiser. Jusqu’à cette date, les événements vont se succéder: Afrobasket féminin, Veteran Club Word Championship, qui rassemblera en 2024 des légendes du football mondial, ou encore le 16e tour cycliste du Rwanda, le plus grand événement du genre en Afrique.

Qatar et Rwanda, voilà deux Etats faits pour s’entendre. Partis de rien, l’un émergeant du sable, l’autre des cendres du génocide de 1994, ils exercent une influence inversement proportionnelle à leur taille. A leur tête, deux leaders ambitieux et autoritaires, Tamim ben Hamad al-Thani (42 ans) et Paul Kagame (65 ans), désireux de se profiler comme des champions de la croissance et du développement.

Une coûteuse promotion

Le sport est un outil de choix dans leur projet de nation branding. On l’a vu avec le Mondial au Qatar. En 2018, le Rwanda Development Board a déboursé près de 40 millions d’euros pour avoir le droit d’apposer «Visit Rwanda» sur le maillot d’Arsenal, dont Kagame est un fervent supporter. En 2019, le logo s’est retrouvé sur les kits d’entraînement du club français PSG… qui est la propriété du Qatar Investment Authority, pour un contrat de trois ans, à raison de 10 millions par an. Le PSG a également décidé de lancer une académie au Rwanda. Les deux contrats ont entre-temps été renouvelés, et plusieurs joueurs invités à explorer les offres touristiques du pays.

Est-ce bien raisonnable d’injecter autant d’argent quand le revenu moyen par habitant est de deux euros par jour? «C’est un pied de nez à l’aide internationale», avait asséné un parlementaire britannique au sujet du sponsoring d’Arsenal. «Notre budget n’est plus composé qu’à 17% d’aide étrangère», rétorque Joël Ndoli, conseiller à l’ambassade du Rwanda en Belgique. Dans les fonds propres, le tourisme sportif se fait une place grandissante. D’après le premier ministre Edouard Ngirente, ce secteur a généré plus de 6 millions de dollars en 2021, soit 13% du total des revenus générés par l’industrie MICE (Meetings, Incentives, Conferences, and Events).

«Les compétitions internationales remplissent les hôtels et rapportent de l’argent, constate l’activiste Luc Rugamba, de l’Action citoyenne pour la paix, basée en Suisse. Mais cela ne développe guère le sport au Rwanda, car ce sont des joueurs étrangers qu’on met en évidence, pas des locaux. On investit trop dans l’image, pas assez pour changer la réalité. En fait, la réalité est trop lente pour Kagame, il veut des résultats immédiats.»

Droits humains bafoués

Des propos qui ont le don d’agacer Joël Ndoli: «Le soi-disant bling-bling n’existe qu’aux yeux de ceux qui ne voient pas tout le travail qui se fait dans l’ombre», répond-il. De fait, les contrats avec Arsenal et PSG comportent aussi un volet de promotion du football auprès des jeunes, par des vedettes de ces clubs. Des centres de formation ont été créés ou sont en phase de création.

Ces investissements massifs dans le sport relèvent-ils du sportwashing, à savoir une volonté de gommer par le sport un mauvais bulletin en matière de droits humains et sociaux? Et par voie de conséquence, le Rwanda fera-t-il l’objet d’une même campagne de critiques voire de dénigrement que le Qatar? Sur la première question, le Rwanda a certainement intérêt à redorer son image. Cet Etat se situe dans les profondeurs des classements sur la démocratie et les libertés individuelles. L’opposition politique est étouffée et la presse muselée. Le Rwanda est également un fauteur de troubles à l’est de la République démocratique du Congo. Mais il est peu probable que le régime en place à Kigali subisse les mêmes foudres que le Qatar. Les Etats occidentaux portent toujours le poids de la culpabilité de n’être pas intervenus pour empêcher le génocide des Tutsis. Le Rwanda n’hésite d’ailleurs pas à brandir cet argument pour faire taire les critiques. D’autre part, sa croissance économique impressionne, et les conditions de vie s’améliorent.

Le Qatar, lui, n’a pas pu jouer de carte victimaire. Au contraire, sa prospérité a eu le don d’agacer des Européens confrontés à des crises à répétition. L’empreinte écologique dégagée par le dernier Mondial a confiné au scandale, là où le Rwanda se profile en champion de l’écologie. En attendant, aucune action spécifique ne semble avoir été planifiée par les opposants pour dénoncer la violation des droits humains au Rwanda alors que s’y profile la plus grande compétition cycliste au monde. Comme pour les appels au boycott du Qatar, ils interviennent de toute façon très tard: c’est au moment de l’attribution des tournois que l’exposition d’un pays est la plus forte, et l’opposition la plus à même d’être entendue.

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