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Société

Plus peur de la solitude que du virus

Les associations d’action en santé psychique dressent un premier bilan des appels qu’elles reçoivent

Le manque de contacts sociaux causé par la pandémie est une source d’anxiété.

 Gilles Labarthe

Gilles Labarthe

8 avril 2020 à 23:50

Psychologie » «Les personnes en situation de pauvreté doublement pénalisées par la crise»: Tel est le message d’alerte lancé cette semaine en Suisse par une coalition de 28 organisations actives dans le domaine de la prévention et de la lutte contre la pauvreté (voir ci-dessous). Cette réalité douloureuse est particulièrement sensible pour les professionnels de l’assistance sociale et du soutien psychologique aux personnes en difficulté. En Suisse romande, la Coraasp représente l’association faîtière d’actions en santé psychique. Elle fédère 26 organisations d’aide et d’entraide, actives dans le domaine de l’accueil, de l’accompagnement et du développement de projets communautaires avec et pour les personnes souffrant de troubles psychiques. Comment garantir aujourd’hui la poursuite de leurs activités, dans le contexte inédit du coronavirus et du confinement?

Au moins par téléphone

Sur le modèle d’autres institutions, la Coraasp a mis en place des «permanences téléphoniques psycho-sociales» via ses organisations membres. A Fribourg, elle est assurée par le personnel de l’Association fribourgeoise d’action et d’accompagnement psychiatrique – l’AFAAP. Il a fallu s’adapter à cette «mise en ligne» des conseils et des activités: «Nous mettons encore en place des choses, nous faisons des entretiens par visioconférence, nous gardons le contact avec nos membres», témoigne Micheline Grivel, assistante sociale, responsable du secteur animation et travail social.

Sur cette permanence téléphonique, les appels reçus jusqu’ici concernent beaucoup «les angoisses liées à cette pandémie, quelque chose d’insaisissable, qui ne se voit pas». Le travail de l’AFAAP est alors de rassurer. «Nous réexpliquons aux gens comment le virus se transmet, quelles sont les recommandations et quels sont les risques que ça représente. Les gens se font aussi souvent avoir par de fausses informations, qui leur font peur. Ils ont aussi peur de croiser du monde dans la rue, d’être infectés… », précise l’assistante sociale.

« Nous nous occupons chacun en moyenne de cinq à six personnes par jour »

Micheline Grivel

Mais à terme, la plus grande angoisse est ailleurs. Les professionnels de l’AFAAP proposaient de nombreuses activités communes, en plus de l’accueil: groupes de parole, activités d’expression et de créativité, activités conviviales, activités de service, associatives… Or, c’est justement cette rupture du lien direct, de la présence physique, qui affecte le plus les personnes en difficulté, en situation de détresse psychologique. «Aujourd’hui, les gens ne peuvent plus se rendre sur place. Notre équipe de six professionnels continue à travailler, surtout en télétravail. Nous nous occupons chacun en moyenne de cinq à six personnes par jour. Nous prenons du temps pour les suivre individuellement, pour trouver des alternatives, proposer des projets. L’important c’est que les gens se fixent des objectifs. Là, par exemple, nous aidons une dame à faire du rangement dans sa chambre, via Skype», ajoute Micheline Grivel.

Garder le contact, rester en activité, se fixer des objectifs même très modestes: trois conseils primordiaux pour ces personnes en difficulté. «Il s’agit de personnes déjà assez isolées, avec une vie sociale limitée: elles sont à l’AI, n’ont pas beaucoup de possibilités ni les moyens de profiter des infrastructures ou des offres culturelles, sont malades… La maladie isole déjà, en soi.»

Manque de contacts

Sur le canton de Vaud, le profil socio-économique des appelants qui cherchent du soutien en contactant la permanence téléphonique du GRAAP (Groupe d’accueil et d’action psychiatrique, actif dans l’accueil et l’aide aux personnes concernées par les maladies psychiques) est globalement le même. «Nous travaillons avec une petite équipe de six assistants sociaux, basés à Lausanne, Prilly, Yverdon, Nyon et Vevey. Toutes les personnes qui nous contactent sont au revenu minimum ou vivent avec une rente AI, plus parfois un petit revenu complémentaire. Elles vivent avec moins de 2600 francs par mois», témoigne Danilo Castro, responsable du service d’entraide sociale. Leur moyenne d’âge oscille entre 40 et 60 ans.

Certaines sont même plutôt jeunes: «Nous avons une dame de 38 ans, qui habite dans un foyer. Elle le vit très mal», comme celles et ceux qui aujourd’hui se retrouvent confinés non pas dans une maison ou un appartement, mais dans une seule chambre. Une situation «dramatique», prévient Danilo Castro, avant de conclure: «Pour les gens qui nous appellent, la principale source d’anxiété n’est pas liée directement à la pandémie: c’est plutôt le manque de contacts sociaux causé par cette coupure.» Cette solitude extrême accroît le sentiment de fragilité, d’insécurité, d’être menacé.

Pour faire face, le GRAAP assure toujours des activités de suivi, de conseil, de services comme effectuer des courses au supermarché et livrer les denrées alimentaires à domicile. «Et nous expérimentons des trucs, par exemple une page sur Facebook: «Même pas seul»

A Neuchâtel, Maud Rondez, psychologue à l’ANAAP (Association neuchâteloise d’accueil et d’action psychiatrique) dresse un tableau similaire de la situation vécue par les personnes fragiles, malades psychiquement, à l’AI, sans emploi… pour lesquelles la structure assure un suivi et des entretiens réguliers: toutes ces personnes se sentent aujourd’hui d’autant plus «enfermées». Un espoir: «Au moins, ce confinement nous aidera peut-être à mieux comprendre ce qu’elles vivent.»

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