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Hurler pour la plus grande gloire de Dieu

L'article en ligne - heavy metal - Si l’on associe volontiers le metal et ses dérivés à une imagerie satanique, une frange de ce genre, aussi vieille que ce dernier, a toujours préféré Jésus au Malin.


Louis ROSSIER

Louis ROSSIER

26 mars 2018 à 20:04

La musique metal a hérité du rock n roll un goût sensible pour la provocation, qui n’a pas manqué d’emmener les textes et les pochettes flirter avec Satan à grands renforts de croix inversées et de pentagrammes. En 1970 déjà, dans le titre ‘War Pigs’ de Black Sabbath, le chanteur Ozzy Osbourne comparait les officiers militaires à des "sorcières se rassemblant pour une messe noire". Avec les années, la sensibilité des auditeurs s’endurcit et il fallut aller plus profondément dans la provocation, Marilyn Manson en est un bon exemple avec son album “Antichrist Superstar”, authentique succès commercial amenant plus d’une mère à se poser des questions à propos de l’équilibre mental de son fils adolescent. Avec certains groupes plus undergrounds, on en venait même à se demander s’il ne fallait voir dans cette fascination pour le mal qu’une provocation ; les concerts du groupe norvégien Gorgoroth, célèbres pour leur mise en scène macabre conjuguant têtes de mouton empalées et figurants crucifiés nus sur scène, ou les sombres destins de musiciens comme le Suédois Jon Nödtveidt, retrouvé mort chez lui au centre d’un pentacle de bougies, ont de quoi faire passer Marilyn Manson pour un papy à la Alice Cooper à peine capable d’émouvoir les résidents d’un EMS.

Mais dès lors que la provocation devient la norme, la modération semble aller à contre-courant. Pour cette raison peut-être, mais plus probablement sous l’impulsion d’authentiques convictions, le metal chrétien, parfois appelé “white metal” (metal blanc), est quasiment aussi vieux que le genre dans lequel il s’inscrit. On trouve ses origines dans des mouvements évangéliques américains comme Jesus People USA ou le Jesus movement, très actifs dans les années 1970, aux yeux de qui le hard rock représentait peut-être un moyen de s’adresser à une jeunesse qui avait déserté les lieux de culte. Du premier mouvement émergea le groupe Resurrection Band, cité par le mensuel Christianity Today comme le groupe le plus influent de l’histoire de la musique chrétienne ; du second, Barnabas, tirant son nom d’un des disciples de Jésus de Nazareth.

Mais il faudra attendre Stryper, formé en 1983, pour que la parole divine parvienne vraiment à toucher les foules via les gros décibels. Leur troisième album, “To Hell With The Devil”, alla jusqu’à être certifié disque de platine et consacra les Californiens comme le tout premier groupe de metal chrétien à accéder à un réel succès commercial. Et ce, alors que leurs paroles évoluaient sans exception autour du thème de la religion, parfois avec une naïveté amusante, comme dans le titre ‘The Way’, tiré de l’album précédemment cité :

I want to sing some other way (Je veux chanter d’une autre manière)
Always the same, never a change (Toujours la même chose, pas de changement)
What can I do to make me feel right (Que puis-je faire pour me sentir bien)
Change all my ways, give up my life  (Changer mes habitudes, quitter cette vie)

Oh - What did you say? (Oh, qu’est-ce que tu as dit?)
Oh - Christ is the way (Oh, le Christ est la voie)
Rockin' for the One who is the Rock  (Jouant du rock pour Celui qui est le Rock)

Dans les traces de Stryper, d’autres groupes de heavy metal émergèrent dans les années 1980 sans qu’aucun ne parvienne à égaler ce succès. Mais les différentes congrégations chrétiennes américaines étaient partagées sur l’attitude à adopter face à cette mouvance, et certaines fermèrent leurs portes à ces rockers chrétiens. Cette ségrégation amena le pasteur californien Bob Beeman à fonder Sanctuary, une sorte de paroisse pour rockers. Cette communauté est d’une importance particulière dans l’histoire du metal chrétien puisque c’est dans ses rangs que les membres de nombreux groupes, comme Tourniquet, Vengeance ou Deliverance, se rencontrèrent et décidèrent de faire de la musique ensemble. Agrandissant son aura sur tout le territoire américain, Sanctuary s’essaya même à l’organisation de concerts et de festivals entièrement destinés aux fans de metal chrétien. C’est là que le groupe de nu metal chrétien P.O.D., plusieurs fois nommé aux Grammy Awards, se produisit sur scène au début de sa carrière.

En effet, les années 1990 s’accompagnèrent d’un déclin du heavy metal traditionnel et de la montée en puissance, sous l’impulsion de groupes comme Limp Bizkit, du metal alternatif. Leur dévotion pour Jésus n’épargna pas Stryper et il fallut trouver une autre manière de parler du bon dieu aux amateurs de guitares saturées. Les convictions chrétiennes se propagèrent donc aux différents sous-genres de metal.

Dans les styles les plus extrêmes, on retient généralement les Australiens de Mortification comme héraut du death metal chrétien, tandis que Horde et Antestor forment l’avant-garde du black metal chrétien, parfois aussi appelé “unblack metal” (metal pas noir). Ces spécimens sont intéressants dans la mesure où les genres dans lesquels ils évoluent se caractérisent justement par une utilisation extrêmement provocatrice des thématiques religieuses. En 1990, Deicide (littéralement: qui a tué Dieu), aux Etats-Unis, sortait son premier album éponyme où s’affichait un satanisme d’un premier degré jusqu’alors jamais osé. La pochette de “Fuck Me Jesus”, le premier CD du groupe de black metal suédois Marduk, arborait en 1991 une femme nue encourageant une utilisation inhabituelle d’un crucifix. La démarche de Antestor et de Mortification détonnait dès lors davantage que celle de Stryper, dans la mesure où lorsque Satan s’invitait dans les paroles de heavy metal auparavant, c’était sous les traits fantastiques d’un grand méchant loup qui aurait pu être remplacé sans trop de mal par un dragon cracheur de feu.

Largement undergrounds, le death metal et le black metal, chrétien ou non, n’ont toutefois jamais atteint le grand public et c’est dans l’héritage de P.O.D. précédemment cité qu’il faut placer les grands groupes de metal chrétien qui suivirent. Le sous-genre metalcore en recèle de nombreux exemples : As I Lay Dying, August Burns Red, Demon Hunter ou The Devil Wears Prada sont autant de formations n’ayant jamais dissimulé leurs convictions chrétiennes sans que ça ne les empêche d’atteindre un succès commercial conséquent. Il peut être intéressant de relever ici l’influence du groupe The Cro-Mags sur le genre metalcore: parmi les premiers à mêler éléments de punk hardcore et heavy metal, ils flirtaient avec la mouvance straight edge du punk, prohibant alcool, tabac et drogues, et entretenaient des liens avec le mouvement Hare Krishna - un rejet de la provocation au profit du désir sincère de propager un message spirituel qu’on retrouvera chez leurs héritiers musicaux.

Peut-être que la normalisation des convictions promues par ces groupes de metal chrétien a encouragé des artistes comme Tom Araya, chanteur du groupe Slayer pourtant connu pour ses pochettes garnies de boucs et de pentagrammes, ou Nicko McBrain, batteur de Iron Maiden, du reste toujours heureux de marteler ses fûts sur leur titre “The Number of the Beast”, à confier aux médias l’importance de la religion dans leur vie privée. Nombreux musiciens de metal légendaires sont en effet passés depuis par la case du coming-out spirituel en avouant publiquement leur religiosité. À croire que Satan, ça ne fait plus vendre autant - faut-il y voir le signe d’une lassitude auprès d’un public fatigué d’une course à la provocation trop souvent vaine?
 

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