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Histoire vivante

«Le web a créé de nouvelles normes»

Internet a largement favorisé la diffusion de la pornographie, même si le discours social lui reste hostile


Quentin Girard

Quentin Girard

24 septembre 2021 à 04:01

Langage » Internet, magazines, affichage public, pub, photo, littérature… En long et en large, le sexe s’étale aujourd’hui un peu partout. Au-delà des frontières de l’érotisme, la pornographie est devenue un phénomène de masse, très facilement accessible. Ses multiples conséquences sont aujourd’hui analysées à différents niveaux: culturel, psychologique, sociologique, économique voire politique.

Au cours de ces dernières décennies, les ouvrages ont fusé sur le sujet. L’attention s’est plus particulièrement portée sur le «supermarché» que constitue internet pour la consommation tous azimuts de porno. Marie-Anne Paveau est professeure en sciences du langage à l’Université Paris XIII Sorbonne. Dans Le discours pornographique, publié aux Editions La Musardine (2015), elle s’intéresse à un univers culturel qu’elle juge riche avec des langages variés et passionnants. Entretien.

Pourquoi, selon vous, est-il nécessaire d’établir un discours pornographique?

Marie-Anne Paveau: Ce n’est pas exactement comme ça que je vois les choses. C’est la pornographie qui parle, c’est le discours de la pornographie qui m’intéresse plus qu’un discours sur la pornographie. Elle est là et produit un certain nombre de discours, avec des mots, des phrases, des textes mais aussi avec une sémiotique plus visuelle, les corps, les objets. Pour moi, aucun objet d’étude n’est illégitime, ni bas, ni honteux, ni entaché de conventions morales. J’ai étudié le discours porno dans cet ouvrage comme dans un ouvrage précédent j’ai pu m’intéresser à la morale.

L’appellation même du genre est difficile à cerner?

Il faut parler plutôt des discours pornographiques, car il y a à mon sens des pornographies. La pornographie, au singulier, est un terme soit réducteur, qui témoigne de quelqu’un qui ne connaît pas bien la richesse de ce domaine, soit qui désigne le porno mainstream qui est en gros le porno commercial hétérosexuel. Celui qui fait l’objet de la majeure partie des attaques de la part de certaines féministes.

Historiquement, les images érotiques ou pornographiques existent de longue date. Qu’est-ce qui a changé fondamentalement?

S’il y a bien sûr toujours des textes et une littérature, les codes et les normes des pornographies sont aujourd’hui principalement établis par la vidéo sur le web. Il n’y a pas simplement les contenus, en lui-même, sur les sites pornos, il y a tout ce qui est réticulaire, qui se repartage sur les réseaux sociaux.

Comment définiriez-vous l’arrivée en masse du porno sur internet?

La pornographie est d’une extrême variété. Elle présente l’homosexualité masculine, féminine, tous les genres, les envies, toutes les microsexualités et tous les fétichismes. Sur le plan politique, c’est plutôt une bonne chose. Plus la variété est représentée, moins une norme est forte, même si elle reste quantitativement dominante. Le web a permis l’émergence d’un porno lesbien, féministe, de films X qui mêlent sexe et handicap, etc.

Quel est l’impact du genre sur un plan politique ou social?

Sur le plan politique, avec internet, la pornographie offre une sorte de droit à la sexualité, avec une dimension humaniste forte. Elle nous dit de vivre comme on l’entend avec qui on l’entend. C’est aussi une machine à fantasme. A la limite le corps, c’est secondaire. Evidemment, il y a un porno violent, insupportable, avec des choses qui ne sont pas du tout acceptables, mais ce que je dis c’est qu’il y a autre chose dans la pornographie. On ne peut pas réduire la pornographie à un modèle de stigmatisation de la femme.

Le vocabulaire, pour parler de la pornographie, est par essence négatif. Un vocabulaire plus neutre serait-il possible?

Effectivement le discours social un peu général est un discours pornophobe. Il est de bon ton, dans notre pays qui a des carcans moraux très forts, de dire que la pornographie c’est mal. On a d’ailleurs le même discours sur la prostitution. C’est très lié à la dimension sacrée du corps. Si vous considérez que Dieu vous a donné votre corps, et que vous devez le rendre intact, il ne faut pas être actrice porno. Si on a une conception non sacrée et non religieuse de son corps, qui est le discours des féministes pro-sexe, qui est le courant dans lequel je me situe, alors le tabou moral saute.

Quel est encore le poids du discours hostile à la pornographie?

Le discours antiporno c’est aussi un discours qui sacralise la sexualité, en la liant avec l’amour. C’est très judéo-chrétien. Il n’y a pas à mon avis de problème à dissocier les deux. Les asexuels le démontrent très bien. Ils peuvent être parfaitement amoureux sans ressentir de besoins sexuels.

Vous parlez dans votre ouvrage d’un discours «postporn». Qu’entendez-vous par là?

Le discours postporn vient d’un courant issu du féminisme prosexe aux Etats-Unis. Il démarre à la fin des années 70, début des années 80, avec notamment Annie Sprinkle (actrice, réalisatrice et militante féministe). Le postporn c’est le porno d’après le porno mainstream (courant dominant). Il est éthique, féministe, queer, gay, lesbien. Il respecte les minorités, milite pour un porno équitable, réhabilitant un plaisir féminin qui ne dépendrait pas du plaisir des hommes. © Libération

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