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Société

La grande épopée de la fée verte

Aux origines de l’absinthe, boisson mythique à l’histoire aussi chargée que son taux d’alcool

Bien servir l’absinthe et la déguster dans les règles de l’art, toute une histoire.

 Claire Pasquier

Claire Pasquier

14 juillet 2023 à 04:01

Val-de-Travers » C’est un beau livre couleur vert anis. Il ne faudrait toutefois pas se méprendre – on y parle d’absinthe et non de pastis. Absinthe - Voyage au pays de la Fée verte revient littéralement sur les pas de celle qu’on nomme aussi la «bleue». Au travers de son périple au Val-de-Travers mais aussi à Pontarlier, Tania Brasseur propose une grande enquête aux origines de cette plante médicinale devenue l’alcool à la mode de la Belle Epoque parisienne, prohibé au XXe siècle puis réhabilité aujourd’hui.

Utilisée durant l’Antiquité déjà, la grande absinthe, Artemisia absinthium, est vantée pour ses vertus en tout genre: antiseptique, anti-inflammatoire, antifongique, antiparasitaire… La naturaliste allemande Hildegarde écrit au XIe siècle qu’une cure d’absinthe au printemps «apaise la douleur des reins et la mélancolie, éclaircit la vue», mais aussi «purge les entrailles et assure une bonne digestion». En même temps que son orthographe a fluctué (absynthe, absinte, abscynce), son image a toujours été ambivalente, d’herbe guérisseuse à herbe dangereuse, comme l’illustre le récit de l’Apocalypse: «Le tiers des eaux se changea donc en absinthe et bien des gens moururent de ces eaux devenues amères.»

Succès colonial

Le véritable alcool d’absinthe apparaît avec la première distillerie commerciale en 1797. Son succès, apprend-on, sera lié au colonialisme… En effet, les soldats français embarquent avec eux des bouteilles de fée verte en Algérie, mais aussi à Madagascar ou en Indochine. A leur retour en France, leur popularité fait le reste et l’absinthe, avec l’apéritif, devient un impératif festif. Les nombreuses références dans la littérature du XIXe siècle participeront également à rendre la boisson mythique.

Cependant, de plus en plus d’études sur l’absinthisme (présumé différent de l’alcoolisme) tentent de prouver que l’absinthe rend fou. La croisade, comme écrit l’auteure, surgit dans la presse et les vignerons prennent également part à la polémique. La cause en serait la thuyone, une molécule présente dans l’huile essentielle d’absinthe.

Des années de prohibition, Tania Brasseur en dévoile de savoureuses anecdotes grâce à plusieurs témoignages. A l’instar de cet octogénaire qui se souvient que la maman d’un copain les envoyait jouer dehors pour qu’elle fasse «la lessive». En effet, durant ces années d’interdiction, les femmes sont nombreuses à distiller l’alcool pendant que les hommes travaillent.

La place de l’image a toute son importance dans cette mise en page particulièrement soignée. Les photographies léchées de Tamara Berger plongent le lecteur dans des ambiances marquées – des forêts vert tendre dignes de la Comté du Seigneur des anneaux, des bistrots à l’ancienne, des champs d’absinthe et bien sûr des distilleries. Tania Brasseur en visite plusieurs et quelques secrets de fabrication (pas tous!) sont révélés. Saviez-vous que pour faire de l’absinthe, il fallait non seulement de la grande et petite absinthe, mais aussi de l’anis vert, du fenouil, de l’hysope, de la mélisse et de la menthe?

En parlant d’herbes aromatiques, ce Voyage au pays de la Fée verte termine sur des recettes alléchantes de jeunes chefs exerçant en Suisse. Du cocktail au dessert, les propositions prometteuses semblent particulièrement propices à la saison estivale.

Au cœur de la forêt

Egalement auteure du livre Simplement Suisse, Tania Brasseur ponctue son enquête par le récit de ses dégustations d’absinthe, vécues à chaque fois dans des conditions distinctes. De quoi donner envie au lecteur de se perdre dans les bois de Môtiers et de tomber sur une de ses fontaines secrètes. Durant la prohibition, les distillateurs cachaient une bouteille d’absinthe près d’une source. La population venait alors trinquer en forêt et laissait de l’argent dans une petite tirelire. Pour son plus grand bonheur, la légalisation de l’absinthe n’a rien entaché à cette tradition contestataire.

Tania Brasseur, photographies Tamara Berger, Absinthe - Voyage au pays de la Fée verte, Ed. Helvetiq, 224 pp.

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